BRIBES PHILOSOPHIQUES : LA GRATUITE DE L’ART

24 May 2021 BRIBES PHILOSOPHIQUES : LA GRATUITE DE L’ART
Posted by Author Ami Bouganim

L’art trouve son expression la plus pratique dans l’architecture, la plus fétichiste dans la peinture. La première aménage l’habitation, l’habitude, le recueillement ; la deuxième déploie la palette humaine. Malgré les discours sur le désintéressement esthétique, l’art conserve un irréductible résidu artisanal et trouve la meilleure de ses vocations dans son rôle pratique dans la vie des hommes. L’architecture trouve son expression la plus éloquente dans les sites funéraires, des pyramides où les momies attendent leur résurrection muséologique aux cathédrales gothiques où un Dieu attend sa résurrection. L’architecture n’atteint à l’art qu’autant qu’elle est initiatique, comme dans les sanctuaires, les musées qui les relaient, les monuments. Leur intérieur se propose volontiers comme une collection ou un album. Comme une prophétie aussi. L’architecture se perpétuera comme art, la peinture est condamnée à se déliter. Picasso marque un tournant : malgré tous les boniments qu’elle s’attire, sa prolixité aura davantage éculé la peinture qu’elle ne l’aura exaltée.

Jamais l’art n’a été plus onéreux – plus intéressé – que depuis qu’on célèbre avec autant d’enthousiasme et de crétinisme le désintéressement esthétique. La gratuité de l’art est une invention de la modernité et de l’oisiveté de ses classes les plus gâtées. Ce serait une manière de se voiler son inutilité dans un univers de plus en plus technicisé et mécanisé. L’art n’a du reste jamais été aussi petit que depuis qu’il ne sert à rien, ni au culte ni à la décoration. Dans l’architecture, la peinture, les lettres. Sa présumée gratuité pave la voie à sa disparition : pourquoi peindre des tableaux qui ne trouveraient pas de murs, des sculptures qui n’auraient pas de socles, des livres qui n’attireraient pas de lecteurs ? Un art qui ne représente rien, n'exprime rien, n'imite rien, n'aménage rien, ne distrait ni ne délasse, ne passera pas même à la postérité comme témoignage de la précieuse stérilité artistique.