CHRONIQUE DE MOGADOR : LA MOUETTE BLESSÉE

1 Aug 2017 CHRONIQUE DE MOGADOR : LA MOUETTE BLESSÉE
Posted by Author Ami Bouganim

La mouette s'était malencontreusement introduite par la verrière et ne savait plus comment sortir. Elle ne cessait de se heurter aux carreaux, de les briser et de se blesser. Quand nous montions sur la terrasse pour tenter de l'orienter et l'aider à s'échapper, elle gagnait la cour ; quand nous étions dans la cour, elle persistait à se frotter aux carreaux. Epuisée, elle s'échoua. Nous ne savions que faire pour l'aider à prendre son envol. En la libérant à une fenêtre, elle risquait de s'écraser au sol et d'être la proie des chats ; en la déposant sur la terrasse, les vents risquaient de s'acharner contre elle. Nous l'avons placée dans un carton tapissé de laine que nous avons parsemés de graines et de miettes de sardines et nous veillions à remplir une petite tasse d'eau. On sentait son cœur battre sous ses plumes blanches.

Pendant des jours, on l'a couvée. On la caressait délicatement du doigt. On ne pouvait faire plus. On attendait qu'elle se rétablisse, on ne savait si elle survivrait. La ville n'avait pas de médecin pour les oiseaux. Les chercheurs n'étaient pas rares, les charcuteurs aussi. En revanche, pas un seul vétérinaire ornithologue. Les jours passaient sans qu'elle ne donne des signes de rétablissement. Si elle avait mal, elle ne geignait ni ne pleurait. Elle ne bougeait pas, comme pour ne pas déranger. Un matin, elle ne s'est plus réveillée. Le très honorable Fils-du-Serpent a dit : « Elle est morte d'un baiser de Dieu. » J'ai demandé ce qu'il voulait dire : « C'est la meilleure mort biblique, elle se produit quand on meurt dans son sommeil, on passe dans un rêve de ce monde à l'autre. » Les commentaires de Fils-du-Serpent étaient plus intéressants que ceux de ses rabbins.

L'idée tchekhovienne de l'empailler ne nous serait jamais venue à l'esprit, même pour une pièce de théâtre. Nous l'avons enterrée dans le Gazon en présence de tous les membres de la famille. C'était mon premier enterrement. Des décennies plus tard, on a érigé une stèle sur son lieu de sépulture. A leur habitude, les autorités municipales se sont méprises, ont fixé l'effigie d'Orson Welles sur la stèle et ont donné son nom au parc. Dans dix ou cent ans nul ne se souviendrait de l'acteur, en revanche tout le monde se souviendra de la mouette. Je n'en veux pas aux autorités, elles ne savaient pas et je n'ai jamais pris la peine de les mettre au courant. Autrement elles n'auraient pas commis un tel sacrilège contre la mouette. Je demande par conséquent de rebaptiser l'espace Parc de la Mouette. Je n'ai pas besoin d'une session extraordinaire du conseil municipal, de la tenue d'une université conviviale ou d'un colloque des oiseaux pour délibérer de cette proposition. J'en prends la décision et la publie. Sans même le consentement de Z.

N'est-il pas un vétérinaire spécialisé dans le traitement des oiseaux pour prendre sa retraite à Essaouira ? Il se nourrirait de pollen que les abeilles lui fourniraient, du miel qu'elles produiraient entre les doubles-fenêtres, de pâté de noisettes d'arganier que les chèvres cueilleraient dans son arrière-cour, de truffes que le tonnerre sèmerait, des légumes des potagers qu'on ressusciterait dans les abords de la porte de la Prairie. On pourrait même lui permettre de s'installer sur l'île, sous certaines conditions, pour épargner aux oiseaux malades le déplacement jusqu'à la presqu'île – à moins que l'un des oiseaux, le cormoran par exemple, ne s'improvise ambulancier ou que le Simorg n'accepte ma proposition de venir régner sur l'île…

Photo : Hassan Broumi