NOTE DE LECTURE : EMIL CIORAN, LA TENTATION D’EXISTER (1956)

29 Jan 2023 NOTE DE LECTURE : EMIL CIORAN, LA TENTATION D’EXISTER (1956)
Posted by Author Ami Bouganim

La pensée de Cioran est hirsute, plus accablante qu'accablée, et davantage pour son auteur que pour ses lecteurs. Les sophistes, eux au moins, avaient de la tenue et leur bagout n'était pas dénué d'une certaine rouerie, voire d'un certain humour. Leurs considérations avaient du charisme. Cioran manque, lui, de toute tenue. Ses pleurnicheries – de Barbare désarmé – seraient plus risibles que les contradictions d'un Kierkegaard. Jetez tout à la poubelle, semble-t-il dire, et moi en premier. Il a néanmoins l'audace de briser les textes, les dogmes, les idoles littéraires. Sans s'encombrer de considérations politiques, sociales ou pédagogiques. Il procède à l'on ne sait quelle purge ou quel ménage avant la grande déliquescence. C'est un suaire troué qu'il coud tambour battant autour d'une civilisation saturée et en décomposition. C'est, pour reprendre les termes qu'il utilise à l'encontre de Paul, un gueulard se doublant d'un râleur.

Cioran se pose en prophète de la démission de l'Occident dont il enregistre les craquements. Il dresse le bilan de la décadence de l'Europe. Il diagnostique son anémie. Il conclut à sa disparition. Ce sont les Barbares qui l'emportent. Sans cesse, dans tous les cas. Contre des civilisations harassées. Il se désole de ne pas mériter de voir l'Occident s'écrouler pour vivre la réalisation de ses prophéties. Il aurait tant aimé mener une armée de vandales roumains à l'assaut de l'Occident et le malheureux en est réduit à pratiquer du petit vandalisme critique. Le malheur, c'est qu'il aurait peut-être raison, ça n'en participe pas moins à du brouillon fascisant, ne s'entendant qu'à la vitalité d'une volonté dont nul ne saurait quoi attendre. Ce n'est pas un pénitent du nazisme, c'en serait un déçu. Il est néanmoins assez intelligent pour être nihiliste et assez bête pour le rester. On ne demande pas aux penseurs de nous donner leurs convulsions (d'autant que dans son cas, ce ne serait que des spasmes), mais de se risquer à proposer un remède.

Cioran faisait tout un drame des mots au point d'avoir les humeurs, les craintes, les prérogatives et les considérations d'un démiurge verbal. On aurait envie de lui dire : « Ce verbiage ne sert que le manège des mots. » La preuve c'est que ce ne sont que des mots. Même dans vos textes. De vulgaires mots, entre lesquels, on ne décèle ni abîmes ni mystères, ni éclaircies ni illuminations. Ce serait de ces penseurs humoraux qui n'auraient rien pour dissiper leur mauvaise humeur que de l'exprimer dans de petits éclats. Sans grande nouvelle, sans aucune nouvelle. S'en protégeant ; s'en préservant. Sans grande originalité. Sinon celle de ne pas s'en chercher : « Pourquoi écris-tu ? – Pour rien. – Qu'écris-tu ? – Rien. – Qu'en restera-t-il ? – Rien. » C'est l'érudit qui ne sachant plus où donner de la tête ne la donnerait nulle part. Un philosophe raté ; un critique amer. Un mystique sans mystique s'engouant pour la mort qui propulserait dans le néant. Ce n'est pas vaniteux ; c'est grincheux. C'est un morbide et sa pensée est celle d'un écœurment qui ne dit pas son nom pour mieux se décliner dans ces considérations sans queue ni tête qui inciteraient à hurler : « Suicide-toi donc, ne serait-ce que pour nous épargner cette interminable chialerie et mieux maîtriser les circonstances de ta mort. » Son texte ne serait que l'irritant suaire d'un cadavre qu'il ne se décide pas à assumer. Ce n'est pas désespérant ; c'est pathétique. Une loque humaine qui se prend pour un prophète parce qu'il n'a rien à dire et qu'il persiste à écrire. Les râleries d'un pauvre hère des lettres qui, comparé à un Onfray qui abonde en bêtes noires, ne manquait pas de talent, à l’instar des grands et véritables assimilés au français.