The Euro-Mediterranean Institute for Inter-Civilization Dialog (EMID) proposes to promote cultural and religious dialogue between Mediterranean civilisations ; to establish a network of specialists in inter-Mediterranean dialogue ; to encourage Euro-Mediterranean creativity ; to encourage exchange between Mediterranean societies ; to work to achieve Mediterranean conviviality ; to advise charitable organisations working around the Mediterranean and provide the support necessary to achieve their original projects.
Emid Dictionary
Partout, le hasard guette. Au détour d’une rue, d’une aube, d’un regard. Il nous attend au réveil, nous accompagne au coucher. Il nous colle aux basques, en bon ou mauvais génie. Tantôt, il nous berce ; tantôt, il nous nargue. On a beau prendre des précautions, on n’est jamais à l’abri de ses surprises. Sans cesse, il surgit pour nous arracher à nos calculs, nos programmations, nos prévisions et nous plonger aux abîmes de la détresse ou nous élever aux cimes de la gloire. Quand le hasard nous est propice, c’est la grâce ; quand il s’acharne contre nous, c’est la disgrâce. On doit néanmoins s’armer pour le brasser et en dégager son destin. Zarathoustra se posait en « rédempteur du hasard ». Je ne sais ce qu'il voulait dire sinon qu’il demandait de s’incliner devant le hasard dans une geste d’acquiescement à la vie, à son cours, à ses détours, ses recours, ses déboires, ses écueils et ses retournements.
Le hasard recèle autant de promesses que de déboires, de sens que de non-sens, de charme que de contrariété. D'un côté, le royaume des intentions ; de l'autre, celui des hasards. La vie se situe à leur croisée, ceux-ci ne cessant de ruiner ou de renforcer celles-là. Elle se coule plus ou moins intentionnellement dans un hasard plus ou moins contrôlé qui lui donne son caractère arbitraire et sort l'homme de soi pour l'humilier sur l’autel de ce qui révèle être son… destin. Nietzsche incitait chacun à se connaître soi-même et à emprunter la voie qui lui est destinée – sempiternel vœu pieux intellectuel du philosophe. On ne se connaît pas soi-même qu’on ne connaît l’autre. Le hasard présente l'insigne mérite d'être à la fois humain et divin et serait, lui aussi, candidat au rôle de Dieu – du moins, sa main, imprévisible et paradoxale, serait-elle encore la figure la plus convaincante de la providence particulière.
On ne se dérobe pas au hasard en empruntant les voies strictement balisées – par le rite, le travail, les engagements… – de la vie sans paver de servitudes sa destination à la mort alors qu'on pourrait s’acheminer plus distraitement vers elle en s’en remettant à lui.
Certaines notions, comme celles du hasard, du destin, du sort, de la chance, de la liberté, de la nécessité, sont si inextricablement liées qu’elles renvoient immanquablement les unes aux autres.
L’herméneutique – de Hermès, le messager des Dieux – est la discipline qui permet de comprendre et d’interpréter des textes et des œuvres qui nous sont étrangers, soit parce qu’ils remontent à un passé immémorial, soit par qu’ils sont d’une aire culturelle qui nous est étrangère. Depuis Nietzsche, l'herméneutique n’est plus une discipline auxiliaire mais la discipline fondamentale de la compréhension qui s'accompagnerait, dans tous les cas, d'une interprétation. Les sciences humaines recouvrent et présument d’une pratique herméneutique, qu'elle s'exerce sur des textes ou des faits, des signes ou des indices. Pour Gadamer, l’herméneutique n'est universelle qu’autant que la compréhension humaine du monde est langagière, s'exerçant sur les productions du langage et s'illustrant dans une production du langage. Il se démarque de l'herméneutique traditionnelle et classique qui s'encombre de procédures en précisant : « Sa tâche ne consiste nullement à développer une procédure de compréhension, mais à élucider les conditions qui permettent la compréhension » (H.-G. Gadamer, Vérité et Méthode, Editions du Seuil, 1976, p. 135).
La connaissance – toute connaissance – se présente comme procès herméneutique où convergent compréhension, interprétation et application, voire où elles se mêlent inextricablement. Gadamer souligne le caractère paradigmatique de l'herméneutique juridique soucieuse d’interpréter la loi en vue de son application dans un cas concret qui influe en retour sur la compréhension de la loi : l’herméneutique juridique établit une passerelle entre le présent et le passé dans sa tentative de se prononcer sur un cas présent qui n'invoque pas la jurisprudence cristallisée jusque-là sans la revisiter à partir du cas en question : « La tradition transmise élève la voix au cœur du présent et doit être comprise au sein de cette médiation, ou mieux, en tant que cette médiation » (Ibid. p. 171). De même, l'herméneutique religieuse poursuit le sens à la croisée du présent apostolique et de la tradition passée (de l'avenir eschatologique aussi) dans une 'exégèse' du texte sacré, alliant les trois dimensions de la compréhension, de l'interprétation et de l'application. De même que l’interprète juridique l'est de la loi, l’interprète religieux l'est de la Parole divine, l’interprète littéraire d'une œuvre et l'interprète philosophique d'une prétention au sens consignée dans un texte.
Cette promotion de l’herméneutique au rang de discipline universelle est animée par une 'morale du penser' qui réclame de se dégager des procédures et des méthodes pour, dans un souci de probité, procéder à une analytique de l'inclusion générale – dans son milieu, dans sa culture, dans son langage… dans l'être – du penseur-herméneute. Elle consiste à examiner ses habitudes de langage et ses modes de pensée, les préjugés qui nourrissent sa compréhension et les intérêts qui la commandent. L'herméneutique comme discipline universelle présume que toute interprétation est motivée et reste limitée, commençant quelque part et s'arrêtant quelque part, toujours à l'étroit entre ses bornes. Ses actes sont ceux d'un lecteur qui pose une question à un texte (entendu au sens large du terme) qui recèle une réponse. D'une certaine manière, le texte se propose en partition sur laquelle l’interprète exerce sa compréhension-interprétation-application. L'herméneute taille le texte à sa mesure et s'efforce d'en proposer une exécution magistrale pour ne pas encourir trop de reproches de trahison, de corruption ou de mécompréhension.
L'hirondelle est plus éternelle que l'homme, pour la simple raison qu'elle ne se distingue pas d'une autre hirondelle. De tous côtés qu'on tourne la tête, c'est la même, et elle ne semble aussi cordiale et distante que parce qu'on ne sait rien d'elle. L'an passé, c'était elle ; l'an prochain, ce sera de nouveau elle. C'était elle avant ma naissance, ce sera la même après ma mort. L'hirondelle ne meurt pas ; elle se réincarne en hirondelle. Tout ce qu'on en dirait serait beau et elle ne chercherait ni à le démentir ni à le corriger. Personne ne la conçoit dans une cage.
L'hirondelle jouit d'une popularité particulière auprès des philosophes taoïstes en quête d’icônes pour un loisir de vivre qui ne s'encombrerait ni de questions creuses ni de vains soucis. Ils la considèrent comme l’oiseau le plus sage, créature du Tao, s'inscrivant le plus élégamment dans sa trame : « Elle n'arrête jamais ses regards sur un endroit qui ne lui convient pas. Même quand elle laisse tomber une graine, elle s'enfuit en l'abandonnant, tant elle craint les hommes[1]. »
Je ne parle de l'hirondelle parce que je ne sais rien sur elle et qu'elle veille sur mes souvenirs d'enfance.
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[1] Tchouang-tseu, L'œuvre complète, XX, Philosophes taoïstes, La Pléiade, Editions Gallimard, p. 237.
L’homme est l’esprit du monde, pour le meilleur et pour le pire. Il lui donne ses coordonnées et ses repères. Son sens et son non-sens. Ses limites et ses horizons. Ses caricatures et ses représentations. Ses poids et ses mesures.
L’homme n’est qu’un passant inconnu auquel l’on prête un nom et sa maison n’est qu’un relais dans une pérégrination dont il ne maîtrise pas le parcours. Il n’a pour tout entrain que son désir, pour tout équipement que ses sens et son intelligence et pour toute vocation que de cultiver la beauté en lui et autour de lui.
L’homme est une créature de chair et de lettre. C'est un animal romantique qui ne cesse de mettre sa nature en vers pour mieux s’en accommoder. Il sécrète d'autant plus de mots qu’il est malade de sa vie. Sans un minimum de talent poétique, il n'acquerrait pas l’art de vivre et basculerait dans une variété ou l'autre de débraillé caractériel. C'est en définitive une œuvre littéraire, souvent bâclée, qui se termine mal.
L'homme est le site par excellence de la temporalité. Il n'entend l'éternité que comme un écho du vide, qu'il tente de combler, et l'immortalité que comme le creux d'une illusion, où il finit par se coucher.