CHRONIQUE DE PHILISTIE : UNE CITE BROUILLONNE

3 Jul 2025 CHRONIQUE DE PHILISTIE : UNE CITE BROUILLONNE
Posted by Author Ami Bouganim

C'est plus que New York, Londres ou Paris et c'est ce « plus » qui donne à la ville ses vibrations. Cette hyperactivité vient de loin. De la volonté de réussir dans un monde précaire et ce n'est pas sans donner une tournure banaustique – de banausia dans Hérodote qu'Aristote assimile au mauvais goût qu'encourage un certain exercice de la démocratie – à toute cette agitation. Peut-être le lot du Philistin – à tous les sens du terme – guettant le nouvel Israélien qui trouve son paradoxal « sans-chez-soi » à Tel Aviv qui vient de subir une douloureuse attaque de missiles iraniens. On transpire, se plaint, se résout à la sueur. On se laisse volontiers aller, acquis au négligé ambiant. Depuis une décennie, la ville git dans le chantier d’un métro qui n’en finit pas de se frayer un chemin sous terre et dont la première rame, étrangement silencieuse, policerait les mœurs. Les parias d'Arendt achèvent de devenir des parvenus et se comportent comme tels. Dans le commerce ; la culture ; la recherche. Le Juif s'est d’abord dépouillé de ses cuirasses d'exil, s'est longtemps contenté des bleus de travail et de sandales bibliques, et aujourd'hui il se met en smoking pour ses soirées de lancement et en plumes pour ses gay pride. Les artistes ne se contentent pas de la reconnaissance toute locale de leur talent, ils doivent encore briller dans le grand monde. Dans le meilleur des cas, ce nouveau Philistin n'est peut-être qu'un pont vers nul ne saurait vous dire quoi tant il bouge, passe ses vacances ailleurs, ses années sabbatiques sur des sites qui se proposent en résidences alternatives ; dans le pire, qu'une girouette prise de tournis théologico-politique et de transes guerrières. D'un côté, on aurait de beaux personnages comme Ronit Elkabetz partisane d'une mystique de l'interprétation théâtrale et cinématographique, partie trop tôt pour donner la pleine mesure de son talent, et Dory Manor qui persiste à chercher Baudelaire dans les rues, plus discordantes que correspondantes, de sa ville natale ; de l'autre, des enfants gâtés qui ressentent un pressant besoin de défrayer la chronique tous les six mois et des psychopathes qui refusent de descendre de la scène pour ne pas échouer dans une cellule. De petits récits de grandeur et de bassesse convergent dans la turbulente saga de Tel Aviv qui reste la vitrine hébraïque d’une entité en gestation.

Ce n'est plus l'Orient, ce ne sera jamais l'Occident. Ce n'est pas Canaan ; ce n’est pas la Judée. Ce n'est pas un ghetto ; ce n'est pas un Etat. Ce n'est pas totalement juif, ce n'est pas totalement arabe. Ce n'est pas le levant ; ce n'est pas le couchant. C'est un brouillon d'on ne sait quoi. Certaines chaleurs d'avril et de mai charrient des rosiers, des orangers, des citronniers. Pourtant, on a tout arraché pour construire des tours et des supermarchés. Cette brassée de senteurs viendrait de loin, d’une mémoire de plus en plus périmée et d’une vocation de plus en plus branlante. Certains jours, il arrive que la Méditerranée dégage des relents qui mettent le charme de noces camusiennes au bouquet de senteurs ; d’autres elle recule devant le brouhaha d’une cité rébarbative qui ne décide pas à se donner un goût à défaut d’une couleur et d’une odeur. Tel Aviv connaît pourtant de glorieux jours, à l’instar de celui où elle conserve le roussi des centaines de brasiers que les enfants allument pour marquer je ne sais quelle victoire ou débâcle. De ceux où elle dégage des effluves de rôti, à l’occasion de la Mimouna que les Marocains passent à se gaver de grillades et de pâtisseries au son d'une mauvaise musique ou du Jour de l’Indépendance qui carbonise je ne sais plus quelle histoire. Depuis que Tel Aviv ne distingue plus entre victoire et défaite, elle aurait un air éméché. Elle perdrait de sa superbe, elle ne saurait plus à quel Etat se vouer et quoi attendre d’une histoire qui s’emballe dans des tirs croisés de missiles balistiques…