The Euro-Mediterranean Institute for Inter-Civilization Dialog (EMID) proposes to promote cultural and religious dialogue between Mediterranean civilisations ; to establish a network of specialists in inter-Mediterranean dialogue ; to encourage Euro-Mediterranean creativity ; to encourage exchange between Mediterranean societies ; to work to achieve Mediterranean conviviality ; to advise charitable organisations working around the Mediterranean and provide the support necessary to achieve their original projects.
CHRONIQUE DE PHILISTIE : UNE TRAVERSEE DU DESERT


Elle débarque de loin. De l'autre côté de la culture. Du monde. Du chahut. Elle a une allure étrange. Déséquilibrée par le périple à travers les siècles et les millénaires. D'une histoire à l'autre. D'un continent à l'autre. D'un village pastoral à un désert encombré de tours, de chaussées, de véhicules, d’écrans… d'inconnus. Elle ne maîtriserait pas encore son vertige. Elle ne connaîtrait pas encore la langue. Elle ne saurait pas s'habiller. Son regard se dérobe au mien. Par pudeur ; par honte ; par discrétion. Une créature des temps anciens. Toute bonté ; toute dévouement. On l'a sûrement sauvée. Je ne sais de quoi. On l'achemine sûrement quelque part. Je ne sais où. Elle attendrait que l’incertitude qui embue son regard se dissipe. L'humidité ; l'émerveillement ; la désolation ; la promesse. Elle a de beaux traits avec, encadrant le visage, tatoué sur la peau, un collier de laurier émaillé de minuscules croix.
Elle est peut-être dans le royaume, celui-ci ne la reconnaîtrait pas pour autant. C’est tellement bruyant qu’elle en est toute secouée. Les cris dans les rues, les disputes entre les chauffeurs, la radio dans les bus, les interminables conversations des portables. Ces mauvaises musiques qui éculeraient l’amour. Surtout par les chaudes et véhémentes journées où les esprits s’excitent. Ces heurts des conversations, en russe, en hébreu, en arabe, en hébreu, en hongrois, en hébreu. Ce n’est pas même cosmopolite, c’est assourdissant. Ces menaces et ces contre-menaces ; ces alertes et ces sirènes. Ce Premier ministre, plus dément que sa contrée, qui provoque le monde entier. Elle tenait son silence de brousse de sa mère. Dans cette cohue divine, elle ne le recherchait plus. La couleur de sa peau, noir-charbon, plus tigréenne qu’amharique, la mettait à part. Même parmi les Ethiopiens. C’était comme ça. De tout temps. Elle était trop recueillie et embrouillée pour se mêler de tout cela, pour le démêler. Elle se promettait de faire de sa propre fille une reine de Saba. C’était le seul choix qu’on lui laissait.
On n’arrêtait pas de mettre tous les Ethiopiens dans le même sac et d’en parler comme d’une population déshéritée, précarisée, marginalisée. Peut-être incriminait-on leur incompréhension des mœurs ambiantes ; peut-être la buée à laquelle ils persistaient à s’accrocher pour ne pas se perdre. Leurs sauveurs – cette incorrigible manie de se poser en sauveur de l’autre ! – attendaient qu’ils recourent à leurs soins pour cautériser la dissonance qu’ils choisissaient sciemment d’exacerber pour ne pas leur ressembler. Ni de près ni de loin. On souhaitait les normaliser alors que rien ne les rebutait autant que les normes ambiantes. On avançait que les Marocains ne s’étaient intégrés qu’au bout de deux et trois générations. Les Marocains n’étaient pas noirs de peau, ils étaient rauques de voix. Peut-être gratterait-elle son collier avec l’aide d’une association luttant contre les activités missionnaires et les mariages mixtes.
Elle ne se doutait pas encore qu’elle ne se trouvait pas tant au royaume qu’en Philistie et qu’on n’attendait rien moins d’elle et de sa fille que de s’empêtrer dans cette mésaventure messianique. Le Juif errant, mon pauvre Albert Londres, serait en train de réaliser à ses dépens qu’il est loin d’être arrivé et que ce qui peut lui arriver de meilleur serait encore de repartir indemne pour nul ne sait plus où…