The Euro-Mediterranean Institute for Inter-Civilization Dialog (EMID) proposes to promote cultural and religious dialogue between Mediterranean civilisations ; to establish a network of specialists in inter-Mediterranean dialogue ; to encourage Euro-Mediterranean creativity ; to encourage exchange between Mediterranean societies ; to work to achieve Mediterranean conviviality ; to advise charitable organisations working around the Mediterranean and provide the support necessary to achieve their original projects.
JOURNAL DE LA PERPLEXITE : AU CROISEMENT DES VAGUES ET DES VENTS


Mogador est une presqu'île qui s'est entourée de rochers pour se protéger contre l'Océan. Elle n'est ni totalement de la terre ni totalement de la mer. Elle est entre deux marées, deux hantises, deux vocations. Elle se cherche en permanence, elle continuera de se chercher. Ses gens ont une passion pour le ressac tourmenté des vagues, la quête éperdue des mouettes, les détours des ruelles et des venelles, l'auguste dignité des araucarias, les rides des murailles et la désuète menace des canons rouillés par la trêve que l’histoire a conclue avec la cité. Surtout par ces belles journées où une clémente lumière répand une auréole de sérénité sur les toits et les minarets, que l'Océan se met à l'étale du ciel et que la Dame de Pitié de Dieu exauce les litanies des mendiants et les vaticinations des illuminés.
Le site participe de la pudeur et de la perdition, blanche et noire, de la sobriété et de la gourmandise, blême et vive, de l'Océan et du rocher, verdâtre et grisâtre, du désir et de la sénilité, multicolore et incolore. Quelque chose d'indéterminé, un lancinant trouble, un mystérieux envoûtement, communique une douce démence. On succombe au mal de mer, au manège des mouettes, aux assauts du vent, à l'inquisition des regards voilés dont on ne sait quels âges ils ont ni quelles invitations ils lancent. Cette presqu'île est une avancée de l'Orient dans l'Atlantique, une enclave de l'Asie, un vestige de l'Europe, une invitation pour l’Amérique, et ce croisement du monde inspire de troubles vocations poétiques aux âmes démises de ses hôtes.
Mogador a longtemps été un mythe dérivant dans l'histoire. Ses poutres ont moisi, ses terrasses se sont écroulées, ses murailles ont déteint, ses palmiers sont morts. D'un côté, l'Océan menaçait de la recouvrir de son écume ; de l'autre, les dunes de l'ensevelir sous leur sable. Les cris de ses muezzins prenaient des accents écorchés pour chasser les démons de l'ennui et lever les sortilèges de la folie. Puis des artistes et des poètes ont entrepris de restaurer les lieux de leurs rêves et de leurs cauchemars. Ils venaient souvent de loin, quelquefois de nulle part. Ils trouvaient à Mogador un radeau des muses, un atelier de création. La ville ne les boudait pas, elle les accueillait de son lait d’amandes et de ses pulpeuses dattes. Ils étaient vite pris dans la toile que les embruns et les insinuations brodent autour des sites. Ils passaient la journée à débrouiller leurs rêves et leurs cauchemars sur des toiles ou à les graver sur du grès et le soir, ils ralliaient le sombre cortège qui s'ébranlait d'une porte à l'autre pour se séparer du jour. La nuit venue, pris de transes, ils se livraient aux Gnaoua, exorcistes patentés des lieux, pour s’assurer une résurrection en guise de réveil. À la longue, ils devenaient les patriotes et les ambassadeurs de cette capitale d’une nouvelle Atlantide.
Désormais, si Mogador consent à recevoir des résidents, elle tient à les trier. Ils doivent savoir se lover dans les bâtisses de la casbah et de la médina, recevoir ses embruns comme une onction, s'incliner devant ses arbres, consentir leurs aumônes aux mouettes, se poser en protecteurs des sortilèges et des exorcismes. Ils cherchent longuement l’âme de la ville dans les rues et les marchés, les scalas et les musées, jusqu'au moment où ils réalisent, comme dans un instantané du bonheur, qu'ils en sont autant de parcelles. Que la ville ne s'est installée sur une presqu'île que pour mieux se démarquer de la terre, se prêter aux avances des vagues, connaître les transes de l'Océan. Qu'elle ne s'est voilée de ses murailles que pour mieux réveiller et décevoir les passions. Qu'elle n'envoûte autant les badauds que pour mieux les retenir et les empêcher de poursuivre des mirages au Sahara ou de céder aux chants des sirènes qui guettent au large. Que les vents ne se lèvent que pour ravaler les âmes prisonnières de son désir.