JOURNAL DE LA PERPLEXITE : LE TALISMAN DE FES

27 Sep 2022 JOURNAL DE LA PERPLEXITE : LE TALISMAN DE FES
Posted by Author Ami Bouganim

La médina de Fès est un écrin embouteillé au cœur de la ville, un dédale de ruelles, de souks, de riads, de zaouias et de caravansérails. Un labyrinthe où l'on ne trouve pas toujours la sortie de la rue où l'on se risque et où l’on ne se perd pas sans se retrouver devant l'une des portes de La Quaraouiyine. Une rivière des Perles draine les écoulements de tout un artisanat de la vie. Les quenouilles, les hachoirs, les soufflets, les scies. Les perceuses, les rabots, les équerres. Des lainages de toutes les couleurs, des soieries pour toutes les caresses, des robes pour toutes les allures. Un bouquet d'odeurs où se mêlent le sang et la chair, le cumin et le benjoin. Le visiteur est sollicité de toutes parts. Par les boutiquiers, les mendiants, les guides. On finit par avoir le vertige de l'hétéroclite.

Partout résonne le mot d'ordre de la médina : « Balak ! » Il annonce le passage d’un dignitaire ou d'un porteur. Des bêtes aussi. Je trouve aux ânes un air plus triste que dans mon enfance. On les sent lassés, éreintés, excédés. Ils en auraient marre de ce régime, ne cacheraient plus leur rancune à l'égard des humains. Une menace de mutinerie pointerait dans leurs yeux. Une lueur d'intelligence, un soupçon de conscience. Un jour, ils refuseront d’avancer. Malgré les menaces, les cris, les coups. Ils resteront immobiles, endureront tous les sévices, résignés à mourir. Leur grève immobiliserait la médina. Ils réclameraient plus de pauses, un allègement dans les charges. Des vacances aux champs aussi.

Des écoliers échangent des secrets ou trament des conspirations buissonnières. Dans une coopérative, on produit de l'huile d'argan, concasse les noyaux, les moud, laisse couler l'huile dans un ustensile et récupère la pâte pour produire du savon et des produits de beauté. Les teinturiers s'échinent dans des cuves disposées le long d'un cours d'eau qui prend les teintes des peaux des hommes et des bêtes. Le guide raconte comment il produisait l'encre de son enfance. Il brûlait de la laine et diluait la cendre dans de l'huile d'olive. Il nous résume sa philosophie dans une phrase : « Travailler comme si l'on devait vivre pour l'éternité et prier comme si l'on devait mourir demain. » On n'oublie pas cette phrase, les muezzins rivalisent entre eux pour vous la rappeler.

Une médina saturée de récits et de légendes. Ceux sur Kenza, la mère berbère de Idriss II et sur Fatima al-Quaraoui, la fondatrice de la Quaraouiyine. On prend un ton recueilli pour les raconter. En revanche, on relève sa présentation de la madrassa Bou Inania d'une note sournoise sinon grivoise : « En 1937, Abou Inan épouse une femme de petite vertu. Son conseil des sages lui reproche son comportement. Il choisit de ne pas se défendre et se contente d'ordonner la construction d'une madrasa sur le site d'un dépotoir pour blanchir la réputation de sa femme. »

Ce serait une ville talisman. Contre le mauvais œil. L'haleine rance. L'ennui de moisir. La pierre qui guette la prière. Des milliers de lucarnes qui ne se ressemblent pas permettent aux murailles de respirer et aux gens de débattre du jour passé et du jour à venir. J'ai tant cherché l’encre de la laine roussie à l’huile d’olive que j’ai manqué le souk des oiseaux…