LE NOMBRILISME MEDITERRANEEN

30 Jul 2015 LE NOMBRILISME MEDITERRANEEN
Posted by Author Ami Bouganim

On ne peut s’empêcher d’être dérouté par l’assourdissante surenchère sur les contributions de la Méditerranée à l’humanité. Edgar Morin peuple la Méditerranée de tous les homos recensés à ce jour. L’homo sapiens doué de raison ; l’homo demens délirant ; l’homo faber technicien ; l’homo mythologicus fantasmant ; l’homo economicus épargnant ; l’homo ludens jouant… Les chercheurs rivalisent dans les lauriers qu’ils tressent à la Méditerranée. Elle a donné les grands prophètes, les grands penseurs, les grands poètes, les grands artistes… les grands conquérants. La Méditerranée avait les frontières du monde – presque ; le monde avait les frontières de la Méditerranée – presque. Loin de ses rives, ce n’étaient que Barbares, peuples inconnus et qu’on ne cherchait pas à connaître. Dire que le monde s’est constitué dans la lymphe de la Méditerranée est une banalité. Pour l’heure du moins. On en reparlera dans un siècle ou dans un millénaire, quand les conquêtes s’étendront à d’autres planètes. Joseph Maïla, recteur de l’Institut catholique de Paris, clôturait la surenchère d’éloges en ces termes : « Etonnante civilisation méditerranéenne qui, au fur et à mesure de son déploiement, balisa les trajectoires de notre culture, fixant l’un après l’autre les repères majeurs de notre histoire et faisant de nous les dépositaires d’un héritage où l’alphabet fut phénicien, le concept grec, le droit romain, le monothéisme sémite, l’ingéniosité punique, la munificence byzantine, la science arabe, la puissance ottomane, la coexistence andalouse, la sensibilité italienne, l’aventure catalane, la liberté italienne et l’éternité égyptienne[1]. » Ce nombrilisme aurait pour lui d’être… méditerranéen. Il serait dans l’excès et l’exultation. Dans l’émerveillement de se convaincre que tout est parti de là. Le pour et le contre.C’est oublier que la civilisation européenne et le meilleur de l’américaine est née de la Méditerranée ; c’est peut-être croire qu’elle est menacée par l’on ne sait quelle civilisation asiatique. Plutôt que de se livrer à ce nombrilisme méditerranéiste que n’articule-t-on pas une poétique méditerranéenne qui arbitrerait les disputes interreligieuses.

On doit se résoudre à reconnaître, pour reprendre une distinction de Jacques Berque que l’éris (la haine) se mêle inextricablement à l’éros et dans le pourtour du Bassin méditerranéen non moins que partout ailleurs dans le monde.

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[1] Joseph Maïla, « Mare Nosstrum », Etudes, Février 1997, p. 44.