NOTE PHILOSOPHIQUE : LE CREUSET DU MYTHE

26 Sep 2024 NOTE PHILOSOPHIQUE : LE CREUSET DU MYTHE
Posted by Author Ami Bouganim

Qu’étaient les dieux dans les cités grecques ? – Quel était leur statut ? – Pourquoi s’en donnait-on ? les honorait-on ? – Quel était le rôle des mythes qui les sacraient, leur étaient consacrés, voire qu’ils animaient ? – Quel crédit leur accordait-on ? – Dans quelle mesure les rites dionysiaques étaient-ils paradigmatiques ? le restent-ils et sous quelles variantes ? – Dans quelle mesure ces rites tirent-ils leur ascendant de leurs ressorts orgiastiques ? – Pourquoi n’assimile-t-on pas les trames qui sous-tendent les trois monothéismes à autant de mythes, quelle que soit l’authenticité des péripéties historiques sur lesquelles ils porteraient, dont ils traiteraient ? Pourquoi seraient-ils plus ou moins convaincants religieusement que ceux qui se rencontrent dans l’hindouisme, le bouddhisme, voire les religions païennes antiques ou primitives ?

Le mythe est le rêve consolidé sous le registre duquel on inscrit sa vie, tant individuelle que collective, l’une participant dans une mesure ou l’autre de l’autre. Il plante les décors, fixe le scénario, distribue les rôles, détaille les promesses et les châtiments… propose un dénouement. Le mythe est inconscient et il le reste tant qu’il est vital. Sitôt qu’il perd de sa vitalité, on prend conscience de son anachronisme et il n’est plus qu’une curiosité littéraire de l’esprit. Le mythe est d’autant plus pernicieux qu’il invoque son invariance contre le caractère historique et passager de la recherche, de la découverte, de la science. Il se constitue souvent comme réticence de l’ancien au nouveau, surtout quand celui-ci menace les schémas et les normes de vie. Rien ne distingue un mythe ancien des mythes bibliques sinon que l’on continue d’inscrire nos vies dans ces derniers et que les premiers ne sont plus que de belles ou sottes poésies : « Les mythes n’ont pas de vie par eux-mêmes. Ils attendent que nous les incarnions » (A. Camus, « Prométhée aux Enfers », « L’Eté », Les Editions Gallimard, 1959, p. 81).

Le mythe colle à la pensée et encore plus à la religion : on croit l’avoir neutralisé, il perce immanquablement derrière les thèses religieuses, métaphysiques, existentialistes les mieux étayées. C’est le creuset invisible le plus récurrent de la pensée. Il ne sert à rien de distinguer entre conscience mythique, religieuse et esthétique sinon pour proposer des variations sur les frontières réelles ou fictives entre la connaissance, la foi et la poésie humaines. Partout œuvre la même créativité mythologique, qu’elle postule une pluralité de dieux ou l’unicité de Dieu, poursuive leur représentation ou leur non-représentation. Elle ne trouve son dépassement que dans le dessaisissement continu de la sensibilité et de la conscience par la science : « Les mythes sont à la religion ce que la poésie est à la vérité, des masques ridicules posés sur la passion de vivre » (A. Camus, « Désert », « Noces », p. 44).

La question la plus passionnante reste celle de l’inexistence de Dieu. Or on ne cesse de l’éluder en postulant son existence, encombrant tant Dieu de mythes qu’il peine de plus en plus à parler.