The Euro-Mediterranean Institute for Inter-Civilization Dialog (EMID) proposes to promote cultural and religious dialogue between Mediterranean civilisations ; to establish a network of specialists in inter-Mediterranean dialogue ; to encourage Euro-Mediterranean creativity ; to encourage exchange between Mediterranean societies ; to work to achieve Mediterranean conviviality ; to advise charitable organisations working around the Mediterranean and provide the support necessary to achieve their original projects.
NOTES PHILOSOPHIQUES : LE BON SENS


Qu’est-ce que le bon sens ? Quelle relation entre lui et le sens commun ? le sens pratique ? l’intuition ? Est-il universel ? culturel ? individuel ? Varie-t-il d’une période à l’autre et réclame-t-il par conséquent un marqueur historique ? N’est-il pas la phobie de la philosophie qui commence par s’en détourner pour s’interroger sur ce qui est derrière les sens, au-delà ou en deçà d’eux ? Quelle place occupe-t-il dans la recherche et la découverte des sciences ? Dans la praxis politique ? Dans le jugement moral ? Dans l’extase religieuse ? Nourri et chargé des témoignages des sens, biaisé par l’incoercible torsion psychique que l’on rencontre chez chacun, quels que soient ses déterminants, tout invite à l’écarter dans les délibérations philosophiques anticipant ou sanctionnant les sciences et les pratiques.
La philosophie hybride, à la croisée de la pensée grecque, des religions et des sciences, n'a cessé de s'acharner contre le bon sens. Elle dénonce sa clarté comme illusoire et n'a de laisse de soustraire les phénomènes à sa considération pour les couler dans des concepts dont on ne sait toujours quelle est la genèse ni leur pertinence. Ce faisant, elle les transporte de l'univers où l'on vit à celui somme toute ésotérique de la religion ou de la science où l'on est censé croire/savoir et où, on doit en convenir, on ne comprend pas grand-chose sinon les rites magiques ou les applications technologiques. C'est peut-être là le rôle et la vocation de la philosophie, sa hargne contre l'univers du sens commun, qui privilégierait le bon sens, n'en trahit pas moins plus de cécité que de sagesse dans la compréhension des choses humaines. Descartes ne trouvait rien de mieux à faire pour s'arracher aux considérations scolastiques qui sévissent de nos jours autant qu’à son époque et ramener l'univers par trop métaphysique construit par l'entendement à celui des sens et de l'imagination que de se livrer à l'apologie du bon sens qu'il incline à assimiler à la raison. En privilégiant la clarté et l'évidence comme marques de la vérité, il réhabilite le bon sens qui, dans son cas, pavait la voie à ses découvertes géométriques et mécaniques. Il posait même le bon sens comme antidote contre la détresse : « ... et je crois que, comme il n'y a aucun bien au monde, excepté le bon sens, qu'on puisse absolument nommer Bien, il n'y a aucun mal, dont on ne puisse tirer quelque avantage, ayant le bon sens » (R. Descartes, « Lettres », La Pléiade, Gallimard, 1992, p. 1190).
C’est ce bon sens, dont l’on ne sait ce qu’il est sinon qu’il est le principal artisan de la réalité commune aux hommes, que l’on invoque en dernier recours pour trancher les controverses autour des grandes questions. Il reste le meilleur rempart contre l’érudition brouillonne, l’illumination exaltée et la théorisation scabreuse. Il présente l’insigne mérite, tant qu'il est sain ( ?), de railler les tentatives pseudo-logiques de mobiliser l’esprit et de l’embrigader au service d’une cause noble ou vile. On ne libère pas la conscience – si c'est là la vocation de la philosophie – sans la dépouiller de son attirail technique-linguistique et la ramener à la naïveté contre laquelle l’Ecole et l’Université s'acharnent tant. Cette naïveté recouvrée, grâce à la déconstruction de l’armature philosophique, sociologique, psychologique, etc., converge avec la naïveté naturelle. Elle est nécessaire pour s’arracher au ressassement, voire à l’internement scolastique, et se risquer à une nouvelle création. Elle réclame le déblaiement du parcours – scolastique – qui mène de la conscience immédiate à la conscience réflexive.
L'univers du sens commun demeure du reste l'horizon incontournable de toute compréhension humaine : on ne comprend un phénomène ou un texte qu'autant qu'on l'explicite, mobilisant le bon sens, en des termes empruntés au sens commun. Dans le champ politique et le champ social ; le champ philosophique et le champ scientifique. Qui s’en écarte renonce à comprendre ou bascule, souvent à son insu, dans un ésotérisme scolastique. Le bon sens, guide de l’action, est aussi l’instigateur de la compréhension. On en vient souvent à soupçonner la philosophie profonde – telle celle qui mobilise le lourd attirail phénoménologique – de n’être qu'un enchaînement plus ou moins laborieux et poétique de banalités travesties en précieuses philosopheries.
Pourtant on ne sait toujours pas ce que recouvre le bon sens et on ne tente pas de le cerner sans le perdre.