The Euro-Mediterranean Institute for Inter-Civilization Dialog (EMID) proposes to promote cultural and religious dialogue between Mediterranean civilisations ; to establish a network of specialists in inter-Mediterranean dialogue ; to encourage Euro-Mediterranean creativity ; to encourage exchange between Mediterranean societies ; to work to achieve Mediterranean conviviality ; to advise charitable organisations working around the Mediterranean and provide the support necessary to achieve their original projects.
VARIATION JUDAIQUE : L'INVARIANCE DE L’ANTISEMITISME


Pourquoi est-on antisémite ? – Parce qu’on déteste le Juif. – Pourquoi le déteste-t-on ? – Parce qu’il est détestable. Les plus loquaces et acharnés des antisémites donnent toutes sortes de traits qu’ils abhorrent chez les Juifs, hérités de la longue tradition religieuse et/ou littéraire et/ou socio-politique considérant le Juif comme une créature quasi démoniaque, maudite par Dieu, un paria présentant toutes sortes de turpitudes qui n’auraient cessé de changer au gré des mutations dans la société, dans la condition du Juif et dans la haine qu’on lui voue. On ne comprend pas pour autant pourquoi l’on vise précisément le Juif et pourquoi l’acharnement contre lui survit aux recherches et aux études, aux campagnes de sensibilisation médiatique et pédagogique, aux rencontres œcuméniques, aux repentances… aux efforts investis pour blanchir les Juifs des traits que les antisémites leur prêtent.
On ne cerne le phénomène qu’en le situant dans le contexte des démêlés du judaïsme avec ses excroissances – messianiques ? – que sont le christianisme et l’islam. Sans cela on ne comprendrait ni son aberration ni sa virulence, encore moins sa source. On ne persiste pas à se réclamer d’une élection divine sans s’aliéner ceux qu’elle contrarie / indigne. Elle heurterait la bonne intelligence des choses divines puisqu’on ne peut porter / prêcher le Dieu Un et ne point se reconnaître en les tentatives de le porter / prêcher à l’humanité dans son entièreté. L’élection juive serait rétrograde sinon scandaleuse, voire anti-judaïque, se retournant contre ceux qui s’en revendiquent. Ce serait la marque d’un entêtement, d’un aveuglement, d’une arrogance qui ne seraient rien moins qu’insultants, d’autant qu’elle recouvrirait des prétentions qui, quelles que soient les réserves théologiques et morales dont elles s’entourent ou qu’on leur consent, attenterait à la sensibilité religieuse tramée par l’unicité de Dieu. De même que les Juifs ne s’inclinaient pas devant la grandeur de Rome, ils ne se rendent pas aux preuves de vérité du christianisme qu’étale sa large propagation. Leurs détracteurs seraient si excédés par leur entêtement qu’ils n’auraient de laisse qu’ils ne brisent leur orgueil, leur ouvrent les yeux, les réduisent au silence.
L’antisémitisme moderne marque un léger glissement politique dans cet antisémitisme religieux qu’on tend à assimiler à de l’antijudaïsme. Il trahit l’allergie de la Science politique, volontiers hégélienne, à tout particularisme (toute singularité) qui ne cadrerait pas avec ses considérations nationalistes et/ou universalistes. De même on assiste à un antisémitisme théologico-politique trouvant ses sources dans le verdict de caducité prononcé par l’islam sur les religions dites du livre et exacerbé par les péripéties dans le conflit israélo-palestinien et ses implications religieuses. Les études qui sont consacrées aux exactions et aux poursuites antisémites décrivent les passions qui les alimentent, les circonstances de leur résurgence et de leur expansion, les expressions qu’ils revêtent, de l’exclusion au massacre. Pourtant, elles ne semblent pas dire grand-chose sinon à réitérer que l’antisémitisme recouvre la haine du Juif et à alerter sur ses dangers. Il semble bien qu’on ne cerne pas le phénomène sans pousser le diagnostic de cette plaie de l’esprit théologico-politique dans ses retranchements et sans s’interroger, au risque d’encourir le sacrilège, sur les rôle et place, réels ou fantasmés, des Juifs dans son exacerbation.
Sur ce point, les analystes de la fin du XIXe siècle, de Leo Pinsker à Max Nordau en passant par Bernard Lazare, se montraient plus audacieux dans leurs considérations. Lazare impute partiellement l’antisémitisme à l’insolence juive qui participe à la fois de l'orgueil, du patriotisme et de l’exclusivisme. Se considérant comme membre d’une congrégation / secte / tribu, le Juif irriterait par ses prétentions à s’illustrer dans les domaines où il s’investit, s’attirant des réactions d’autant plus virulentes qu’il se laisserait aller à un exhibitionnisme dérangeant. Il se montre volontaire, retors, vaniteux, surtout lorsqu’il se rengorge de son génie, récusé ou reconnu, dans les sciences et les arts, la politique et la finance. On lui reproche de mettre à réussir les mêmes hargne et passion qu’il met à servir Dieu ou à s’en secouer. Il pousse l’insolence jusqu’à se poser à la fois comme victime et comme conscience – comme conscience victimaire – d’une humanité qui lui reproche en retour sa turbulence, quelles que soient ses lettres de créance divine et le gravité des persécutions endurées. En d’autres termes, on ne se poserait pas comme Juif sans courir le risque d’être précipité dans les abîmes de la haine. De nos jours encore – moins que par le passé ? plus que par le passé ? –, après la Shoah et la création d’Israël, le Juif serait un pavé surhumain ou sous-humain dans la mare de l’humanité.
Le recours sans grande distinction à l’accusation d’antisémitisme, l’amalgame entre antijudaïsme, antisémitisme et antisionisme par les partisans inconditionnels d’Israël, l’occultation de la tentation pour l’ostentation au sein de certains secteurs de la population juive ne sont pas pour contribuer à cerner le phénomène et le combattre. L’antisémitisme serait de ces invariants de l’humanité et plus particulièrement de la civilisation occidentale, tant sous les formes hybrides qui sont les siennes de nos jours que sous ses formes traditionnelles chrétienne et/ou musulmane. C’est, autant se résoudre, le prix que doit payer le Juif pour continuer de survivre sur les modes – ghettoïques, dissidents, perturbateurs, clandestins – qui sont les siens et légitimer – en cherchant, en créant et en œuvrant à « la réparation du monde » – son droit à l’existence. Peut-être convient-il de le considérer comme un effet secondaire du judaïsme, volontiers pathologique, décelable dans la société ambiante, à la croisée de tant de considérations que même les chercheurs les plus avertis ne réussissent pas toujours à les débrouiller. Ses « causes » se mêlent inextricablement dans les études qui lui sont consacrées. Elles seraient, pour reprendre la distinction aristotélicienne, traitant à l’origine du mouvement et seulement de lui, de quatre natures. 1) Des causes essentielles, inhérentes au judaïsme, provenant de ses prétentions électives et des conditions qu’elles réclament pour leur réalisation, telles la réclusion et la ségrégation consenties ou imposées, les postures morales ou politiques assumées ou simulées. 2) Des causes motrices détaillant les circonstances socio-historiques de la résurgence de la haine du Juif, s’illustrant dans les meilleures études dans ce que l’on pourrait nommer une phénoménologie de l’antisémitisme. 3) Des causes matérielles détaillant les tournures sans cesse nouvelles qu’il revêt, les considérations auxquelles celles-ci prêtent, les réactions générales ambiantes autant que juives. 4) Une cause finale enfin qui reste inchangée et ne vise rien moins que la négation du Juif, sa mise à l’écart sinon sa liquidation physique.
Ce serait un leurre de croire que l’antisémitisme disparaîtra un jour. Il connaîtra des mutations et la plus éloquente de nos jours se rencontre dans l’acharnement contre l’existence d’Israël comme entité politique juive située dans des frontières agréées / contestées par ses populations juives et palestiniennes, ses voisins arabes, de même que par la communauté internationale ou une partie d’elle. Israël jouerait dans le concert des nations le rôle qu’occupent le judaïsme dans les rivalités entre les religions et du Juif dans les perturbations de l’humanité. On voulait réduire le Juif pour garantir l’hégémonie chrétienne de l’Europe (le nouveau judéo-christianisme est une aberration politique irrecevable dans la bouche de ses promoteurs juifs autant que non juifs luttant contre la pénétration de l’aire chrétienne par les populations musulmanes invitées pourtant à participer à son redressement), on veut réduire Israël pour redistribuer les cartes géo-théologico-politiques sur la scène internationale.
L’antisémitisme serait un corrélat pervers du judaïsme qui se pose comme ségrégation, plus ou moins arbitraire, lâche ou resserrée, s’accompagnant de phénomènes de rengorgements d’une part, de rejets d’autre part. Les Juifs seraient exubérants, donnant l’impression de balancer, pour reprendre les catégories d’Hannah Arendt, entre le paria et le parvenu. Soit, ils s’assument comme tels et se protègent, soit ils succombent à l’indignité et s’assimilent. On les ressentirait comme des verrues ou des œillets, eux-mêmes balançant entre les unes et les autres, basculant des unes aux autres. L'élection divine, quoi qu’on en dise dans les textes des uns et des autres, à laquelle les Juifs ne sauraient renoncer sans se perdre, ne serait envisageable / tolérable que comme le bûcher – l’autel ? le réduit ? – sur lequel/où les Juifs s'offriraient en victimes – propitiatoires ? – à leur pugnace résistance. L’antisémitisme recouvre plus qu’un malentendu, la lutte contre lui plus d’un malentendu. On n’aurait d’autre choix que d’encourager celle-ci, de condamner celui-là. Je ne suis pas sûr d’avoir contribué en quoi que ce soit à la question des Juifs, encore moins de comprendre les contributions de ceux qui prétendent la résoudre.