Tarédant - À bout d’Exil. Ami Bouganim

19 Jan 2016 Tarédant - À bout d’Exil. Ami Bouganim
Posted by Author Liliane Stein

Si la cour des miracles ne s’était trouvée au cœur de Paris, elle aurait élu domicile à Tarédant. Dans cette presqu’île du sud marocain, chaque éclopé aurait eu son moment de gloire. Notre histrion conte par le menu les aventures de Brave-Vent, son géniteur qui se trouve être aussi, et comme par hasard, celui de Tarédant. Passant du coq à l’âne, le narrateur, pérorant et ânonnant, dresse des habitants un inventaire à la Prévert. Mais le vent ne s’en laisse pas conter et lorsqu’il se lève, le récit prend l’allure d’une épopée. Albert Cohen, s’est certes vu  décerner le titre de « prince du picaresque », mais il manque de bagout  face à notre chantre de Tarédant. Ce dernier ne s’interrompt que pour apostropher son interlocuteur, le malheureux venu innocemment recueillir ses mémoires, et se lancer dans des considérations, bien au-delà de sa condition de narrateur, sur la littérature, dont le chant du cygne semble justement être ce récit. 

Lorsqu’il revient au cœur du récit, la fondation de Tarédant et le portrait des Rédanais, on ne le répétera jamais assez, il devient girouette et carbure à la vitesse grand V(ent) : défilent alors Brave-Vent, Élisha l’Hermaphrodite, Fils-du-Serpent, Lilo-le-Funambule, Warse-le-Fourbe, le Très Saint Rabi Zéra Menkor Ier et je t’en passe et des meilleurs… Sans négliger que qui dit île dit mer, alors vagues et ennemis déferlent pour éclater la bulle bienheureuse de Tarédant. Les Musulmans crient aux fous, les Juifs aux hérétiques (les Rédanais glorifient le philosophe excommunié, Baruch Espinosa). Or, les Rédanais, dont les ancêtres étaient sortis vainqueurs de leurs combats contre « les Portugais, les Espagnols, les Anglais, les corsaires de Barberousse et les monstrueux crabes préhistoriques’’, n’en ont cure et, propageant le  menkorisme, vénèrent le vent.  Ce Dieu puissant, aux noms variés et multiples, qui s’engouffre partout et ne connaît nulle limite. Comme notre conteur malicieux qui n’épargne rien à son interlocuteur. Le prenant à témoin et à partie, il lui raconte les calamités et malédictions qui s’abattent sur les Rédanais et les mille et une inventions de Brave-Vent. Injurié et maltraité, ivre de  toutes ces affabulations, il écoute, comme le lecteur, qui ne lâche pas l’ouvrage, malgré les récits sans queue ni tête,  et en veut encore car ce sont peut-être les derniers mots libres qu’il nous sera permis, d’entendre, d’écrire et de lire.

Emporté par le vent, tourneboulé à souhait, votre serviteur s’accrochant à son clavier, s’efforce d’écrire une recension digne de ce nom. Mais, comment s’y prendre lorsque l’auteur sème à tout vent. On tente bien des comparaisons, mais ce ne sont que rapprochements médiocres : ce livre est incomparable ! Il brise tous les tabous et ne se laisse enfermer dans aucun genre (rappelons qu’Elisha l’Hermaphrodite ne craint pas d’enfanter au grand désarroi, à l’immense joie et à l’insatiable curiosité des Rédanais). Finalement, à bout de force, et assommé par le mouvement incessant des ailes des moulins tournant à tout vent, l’on aperçoit au loin la figure du chevalier émacié. Don quichotte aura donc chevauché jusqu’au bout de l’exil, sa lance est plume et si Sancho Pansa s’écriait chez Cervantès : « Seigneur, ayez pitié, j’ai des ampoules aux fesses », Chez Ami Bouganim, il hurle avec nous : « Seigneur, ayez pitié, continuez puisqu’il me reste encore les yeux pour rire ».