The Euro-Mediterranean Institute for Inter-Civilization Dialog (EMID) proposes to promote cultural and religious dialogue between Mediterranean civilisations ; to establish a network of specialists in inter-Mediterranean dialogue ; to encourage Euro-Mediterranean creativity ; to encourage exchange between Mediterranean societies ; to work to achieve Mediterranean conviviality ; to advise charitable organisations working around the Mediterranean and provide the support necessary to achieve their original projects.
ALBUM DU MONDE : LES BADAUDS DU CIEL


C’est une photo du magistral Axel Gabriel Soussan. Dans les années 90. Trente ans avant que les enfants et petits-enfants de ces personnages ne se rendent maîtres de Jérusalem et n’étendent son périmètre à de nouveaux cimetières et à de nouvelles banlieues. Ils sont là provisoirement, le temps de se recueillir dans le souvenir de leurs pères et de s’assurer une progéniture. Ils ne s’attardent pas, ils passent. Ils le savent et c’est ce qui les prédispose à camper, après une longue errance qui a laissé ses marques sur leur accoutrement, les badauds du ciel sur terre. Ils sont habillés à la mode de Dieu et comme Dieu est immuable, ils ne sont pas près de changer de vêtements.
Depuis le temps qu’ils ne sont plus que des relais, ils ne vivent plus vraiment, et depuis le temps qu’ils étudient, ils ne savent ce qu’ils apprennent. Ils lisent les murs derrière lesquels ils se sont retranchés pour continuer de cultiver le leurre de vivre en ghetto dans un exil qui ne les quitte plus. Derrière, la chronique murale décline la nécrologie terrestre, réitère les incitations à la pudeur, délivre les dernières publications de ces commentateurs invétérés qui ne s’enhardiraient pas à rivaliser avec les écritures divines même s’ils n’arrêtent pas de les battre en brèche pour mieux en percer le sens. La porte serait celle d’une Académie rabbinique se proposant en antichambre de l’Académie céleste.
On leur dit que le Messie est venu, ils en rient, ils ne le reconnaissent pas. Ces gens-là ne sont pas des exaltés. Ils ne croient en rien. Ni en le monde qui s’étendrait au-delà de leurs murs ni en la mer qui borderait leurs litanies. En revanche, ils croient au monde à venir. Ils ne se risquent pas au large de leur attente, ils se perdraient ; ils ne quittent pas leur ghetto, celui-ci les perdrait. Ils ne sortent pas de leurs livres sans s’offusquer du manège de tous ces mécréants qui ne se doutent pas qu’ils sont condamnés à passer et à disparaître. Ils ne croient pas en Dieu, c’est Dieu qui croit en eux. C’est écrit. Dans un de leurs livres. C’est ce qui leur donne leur stature, à moins que ce ne soit que des marionnettes. Mais on ne voit pas les fils qui les retiendraient au ciel.
Dans les années 90, c’était encore biblique. Des gens à exhiber leur ceinture de sainteté, interdisant toute communication entre la moitié qui désire et celle qui étudie, la moitié qui rutile et celle qui rumine, la moitié qui arrime au monde d’en bas et celle qui porte à celui d’en haut. L’un glisse oisivement une main dans la ceinture, tient un livre à l’autre. Ce n’est pas le Talmud, il est trop petit ; ce n’est pas la Bible, on ne se promène pas ave la révélation ; ce n’est pas le Zohar, ce serait trop risqué, il se retournerait contre soi. Les livres sont désormais de commentaires sur les commentaires des commentaires de l’on ne se souvient plus quelle parole immémoriale. Il écoute ce que son voisin dit et tous deux attendraient un dénouement. Le troisième a les bras croisés de son père et de son fils. Le quatrième est un bedeau de yéshivah, de la rue, de l’attroupement. Le cinquième, le bras contre les lèvres, s’interroge sur la pertinence du dénouement proposé. Le sixième, plus jeune, guetterait un verdict.
J’ai beau les regarder, je n’arrive pas à deviner ce qu’ils font sur cette photo. Ils assisteraient à une scène de rue. Un esclandre. Une arrestation. Une intrusion intempestive dans leur territoire. Celle du photographe. Quiconque dirait qu’ils ne sont pas de ce monde aurait raison. Ils sont de l’autre qu’ils ne cessent d’instaurer dans celui-ci, tour à tour anachroniques et avant-gardistes. Ce sont des acteurs dans je ne sais plus quelle parade divine en noir et blanc assurée de recevoir ses paillettes au ciel.