ANGLE DE VUE : PAOLO SORRENTINO, YOUTH (2015)

27 Nov 2020 ANGLE DE VUE : PAOLO SORRENTINO, YOUTH (2015)
Posted by Author Ami Bouganim

Dans une station balnéaire des Alpes suisses, Sorrentino a réuni un vieux réalisateur qui écrit son dernier scénario avec une équipe de cinq coscénaristes. Il a avec lui son ami, également octogénaire, compositeur et chef d’orchestre de réputation internationale, sollicité par la reine Elisabeth II pour donner son dernier concert à l’occasion de l’anniversaire du prince Philip. Le fils de l’un est marié avec la fille de l’autre et à la veille de prendre l’avion pour des vacances en Thaïlande, il la plante pour une vedette de pop qui, sexuellement, serait « un bon coup ». Mike (Harvey Keitel) tente de comprendre, Fred (Michael Caine) tente de consoler sa fille qui lui reproche les trahisons répétées de sa mère. Les deux octogénaires échangent des banalités sur la vieillesse. Sur une fille qu’ils se seraient disputée soixante ans auparavant, sur l’état de leur prostate surtout, et passent des paris sur la condition domestique des autres pensionnaires. On trouve un jeune acteur qui tente d’échapper au rôle de robot qui l’a fait connaître du grand public et qui lui colle à la peau en répétant un rôle qui l’en sortirait. Un obèse – en lequel on reconnaît l’argentin Maradona – qui a un portrait de Marx, à moins que ce ne soit de Guevara, tatoué sur le dos, ne se déplace que suivi de sa gouvernante ou de sa compagne roulant un ballon d’oxygène et se révèle, malgré son surpoids, d’une étonnante agilité pour shooter dans des balles de… tennis.

Sur ce, on annonce l’arrivée de Miss Univers qui donne un nu dans la piscine devant les yeux éblouis des deux octogénaires éblouis, scène plus baroque que cinématographique : « La dernière vision idyllique de notre vie. » Sur ce, débarque encore Jane Fonda en actrice américaine décatie, pressentie par Mike pour la dernière scène de son film-testament. Elle ne s’est déplacée jusque-là que pour lui dire les quatre vérités que s’attireraient tous les cinéastes qui persisteraient à réaliser un dernier film (comme d’ailleurs tous les écrivains, tous les peintres… tous ceux qui ont passé leur vie à courir d’un succès à l’autre à l’occasion de leurs films, leurs livres, leurs expositions). La défection de Brenda plonge le réalisateur dans un désarroi de vieillesse. Il ne peut pas plus boucler son film sans elle que le compositeur ne peut donner de concert sans sa compagne. Mike convoque toutes ses héroïnes, plus sublimes les unes que les autres, dans le vallon Suisse pour se suicider en leur absence. Le maestro se rend, lui, à Venise pour déposer des fleurs sur les tombes des Stravinski et en apporter à sa femme qui lui a inspiré son plus grand succès et est morte postée à une fenêtre, terrassée par ses nombreuses trahisons et par la vieillesse. L’acteur renonce au rôle censé imprimer un nouveau souffle à sa carrière – celui de Hitler.

Rien ne serait plus pathétique que ces établissements où l’on paie pour passer son ennui en massages et autres soins, en repas silencieux et médisants, en petits drames domestiques… en parades d’un autre âge avec des cracheurs de feu ou des faiseurs de bulles. Leur emblème serait encore ce moine bouddhiste qui médite tant re-plié en robe rouge qu’il connaît l’extase sous la forme d’une lévitation. Ce n’est pas un club où l’on s’éclate, se dore et se crève la panse, c’est l’antichambre du cimetière. On se remettrait de la vie en ne vivant pas, on se préparerait à la mort en paressant du matin au matin. Les seules émotions sont encore celles que trouvent Mike et les membres de son équipe à se droguer pour produire encore une misérable réplique dans un énième scénario. Sinon on a des scènes fantasques dont on ne sait que penser, comme celle où le maestro assis sur une chaise pliante orchestre le bêlement des vaches et le tintement de leurs cloches dans un pré ou la scène plus caricaturale qu’originale où les deux vieux croisent un jeune adolescent roulant sur la roue arrière de son vélo. Les liens d’amitié entre eux se seraient sédimentés autour de petits souvenirs communs plutôt que grandes idées intellectuelles et ils en sont à se souhaiter mutuellement : « Espérons qu’on pissera demain. »

C’est un film sur la vieillesse et sur le cinéma traités avec un humour napolitain indexé à la vieillesse britannique. On a des postures, on n’a pas de gestes. Des scènes hallucinantes et hallucinatoires, d’autre philosophie que celle du massage et d’autre psychologie que celle de l’apathie. Tout le monde y passe, les cinéastes, les compositeurs, les acteurs, les intellectuels, les sportifs, les masseurs… la beauté. C’est le cinéma qui se donne sa cure de vieillesse avec Michaël Caine, Harvey Keitel et Jane Fonda, invitée à se reconvertir dans la télévision. C’est un peu le cinéma qui se délite dans cette production sur la vieillesse du cinéma. Sa mort serait un peu prématurée, il a survécu à celles de Hitchcock et de Welles, il survivra à Caine, Fonda et… Netflix.

Ce serait plus burlesque qu’attachant, malgré les somptueuses cartes postales suisses. Le titre du film vient de la réponse faite par le médecin des lieux au compositeur qui lui demande ce qu’il trouverait à l’extérieur : « Youth ! » Ca se termine par le concert royal tandis que la fille du maestro est dans les airs avec son rude alpiniste. Le cinéma s’est mis à dérailler et l’on ne sait si c’est de sénilité, d’autodérision ou de métacritique. Ce serait tout au mérite des cinéastes de rire de leur art, contrairement aux plumistes (pour ne pas dire écrivains) qui auraient perdu tout sens de la dérision et, convertis en critiques littéraires, se congratulent les uns les autres sur des plateaux où tous les livres sont « formidables » alors qu’ils sont souvent indigestes. Sinon, la caméra est souvent trop loin et la musique, hétéroclite, peine à huiler les charnières narratives qui commencent à grincer dans le cinéma aussi…