CHRONIQUE DE MOGADOR : LE VIEIL HOMME ET LE CHAT

28 Jul 2017 CHRONIQUE DE MOGADOR : LE VIEIL HOMME ET LE CHAT
Posted by Author Ami Bouganim

« Comment vas-tu ? – Comme un charme. – Comment se portent les enfants ? – Louange à Dieu. Chez toi ? – Tout va pour le mieux sous la meilleure Providence ? – Que racontes-tu de nouveau ? – La même chose qu'hier et que demain. Si ça devait changer, je ne serais pas là pour le constater. Chaque jour est si passionnant que je ne sais par où commencer. – Par l'aube, mon ami, par le réveil. – C'était un véritable miracle. – Ces lueurs indécises qui hésitent entre la grisaille et la splendeur. – Puis l'épanouissement du jour. – Je comprends que tu reviens de ta tournée du port. – Tout comme toi, j'étais là pour le retour des premiers chalutiers, ils ont fait une bonne pêche. J'ai vu des pieuvres, des anguilles et des langoustes. – J'ai vu aussi des sardines et des anchois. – Tu t'es procuré quelque chose ? – Je ne me plains pas. – J'ai pris mon petit-déjeuner chez les poissonniers et il était si copieux que je suis rassasié pour la journée. – C'est curieux, je ne t'ai pas vu. – On devait être à des tables différentes. »

Puis les deux compères passent à ce qu'ils savent faire encore le mieux. Ils poétisent, ils poétisent. Sans être pour autant des admirateurs de Hölderlin :

« Seule la mer prétend se poser en remous de l'éternité. – Elle ne dit rien, elle marmonne – On n'a pas assez parlé de la mer, on ne la prend pas en considération dans nos débats sur la terre. – Les vagues rient, les vagues pleurent. Elles dispensent la grâce de leurs embruns et communiquent leur esprit de suaire. – Certains jours, elles écument contre la brume ; d'autres, elles savourent le ciel éclairci et la sérénité recouvrée. – La mer protège le silence contre le délire des hommes. – Les vagues seraient autant de lignes sur lesquelles seule l'écume réussit à déposer ses brouillons. – La houle donne ses lignes au néant… »

En général, ils n'écrivent pas ce qu'ils se disent. Parce qu'ils sont tous deux illettrés. Ils célèbrent la Convivencia à leur niveau.

Quand je suis tombé sur cette photo, j'ai senti Baudelaire, ce poète du chat, résonner en moi :

« C'est l'esprit familier du lieu ;

Il juge, il préside, il inspire

Toutes choses dans son empire. »

Un jour, je publierai la chronique inédite où Baudelaire parle de son séjour à Mogador et de ses échanges avec ses chats…

Photo : Collection David Bouhadana.