JOURNAL DE LA PERPLEXITE : LA LEGERETE DU PAPILLON

31 Mar 2022 JOURNAL DE LA PERPLEXITE : LA LEGERETE DU PAPILLON
Posted by Author Ami Bouganim

Partout, une certaine fascination pour le papillon. Chez les Latins, les Grecs, les Hébreux, les Chinois. S'interrogeant sur les limites entre le rêve et la réalité, Tchouang-tseu insinue que cette vie n'est qu’un rêve dont la mort serait le réveil. Il récuse jusqu'au principe de réalité que recouvrent nos distinctions, nos langages et nos thèses les plus communes. Il préconise le non-agir qui réclame de s’exercer à s’inscrire dans le Tao et dans ce contexte, le papillon, davantage que le sage, serait plus proche du Tao dont nul ne sait ce qu'il est, d'où il vient et où il mène : « Jadis, Tchouang Tcheou rêva qu'il était un papillon voltigeant et satisfait de son sort et ignorant qu'il était Tcheou lui-même. Brusquement il s'éveilla et s'aperçut avec étonnement qu'il était Tcheou. Il ne sut plus si c'était Tcheou rêvant qu'il était un papillon, ou un papillon rêvant qu'il était Tcheou » (Tchouang-tseu, « Œuvres complètes », II, « Philosophes taoïstes », La Pléiade, Gallimard, 1980, p.104). Nietzsche ne cache pas le sentiment de légèreté que lui inspire le papillon porteur d'insouciance et de vulnérabilité. Fasciné par son caractère éphémère, son vol serait pour lui comme une révélation sans cesse répétée : « Je regarde d'un œil nouveau le vol mystérieux et solitaire d'un papillon, là-haut, près de la falaise du lac, où croissent tant de bonnes plantes : il voltige de-ci de-là sans se soucier de ce que sa vie ne durera plus qu'un jour et que la nuit sera trop froide pour sa fragilité ailée. On pourrait aisément lui trouver, à lui aussi, une philosophie, bien qu'elle ne risque guère d'être la mienne » (F. Nietzsche, « Aurore » V, 553, « Œuvres », vol. I, Robert Laffont, Bouquins, 1993, p.1205).

Les chenilles auraient tant le sens de vocation qu’elles se réincarneraient en papillon pour l’éternité d’un jour. L'homme aussi n'est pas tôt sorti de sa chrysalide qu'il doit la troquer contre un linceul. Si ce n’est qu’il n’a pas la légèreté du papillon.