JOURNAL DE LA PERPLEXITE : UN CLOCHARD DE LA PENSEE

Benjamin était de la gente des clochards qui courent les poubelles en quête de quelque pièce qui, une fois récurée, leur permettrait de prendre un repas ou de s’assurer un lit pour la nuit. Paris était son domaine, les livres ses poubelles. Seulement, il ne savait quoi chercher et il se contentait de rassembler les matériaux qui devaient servir au montage d’une œuvre dont nul ne pourrait préciser la vocation ni dessiner les contours. Peut-être le plus ébahi des clochards intellectuels sinon le plus distrait. La pensée ne chemine plus mais flâne entre les débris et les vestiges de traditions secouées par le sens historique. Penser reviendrait à glaner des citations, créer à les monter.

La lecture de Benjamin donne le tournis. On ne sait qui il est ni ce qu’il veut être ; où il est et où il veut en venir ; s’il pense mal ou s'il triche avec la pensée. Lui-même ne le savait probablement pas. Sa volonté se laissait déborder en permanence par ses velléités religieuses, philosophiques et littéraires. Par ses besoins matériels quotidiens aussi. Si c’était un génie, il l’était du désarroi ; si c’était un artiste, il l’était de tout et de rien ; si c’était un penseur, il ne se décidait ni pour le sens ni pour le non-sens, incarnant l’attitude philosophique la plus insigne.

C’était un champion de la perplexité.