JOURNAL DE LA PERPLEXITE : UN PASSAGER CLANDESTIN

26 Jan 2022 JOURNAL DE LA PERPLEXITE : UN PASSAGER CLANDESTIN
Posted by Author Ami Bouganim

Je ne sais plus à quoi je ressemble. Je ne sais plus de quel horizon je suis. Je ne sais plus ce qu'est Dieu. Je sais seulement que je viens de loin. Peut-être sept mille ans, peut-être deux mille, peut-être mille. J'ai les traits raturés, les souvenirs embrouillés et je ne sais plus à quels textes m'en remettre, quels engagements me lient et de quels rites je dois m’acquitter. Ma mémoire est si surchargée que je ne distingue plus entre l’avant et l’après, le bon et le mauvais mot, le prophète et l’illuminé, le sage et le babillard, le sain et le malsain. Je sais seulement qu'un cordon ombilical me lie au ciel et que des scellés ont été posés sur l’accès qui m'est destiné. Je ne m'en acquitte pas moins de menus gestes qui auraient de grandioses répercussions.

Tout m’invite à me présenter comme le clandestin absolu puisque je ne détiens même plus le secret qui m'accule à ma clandestinité. Je ne me souviens plus pourquoi je le suis devenu, sous quelles pressions inquisitoriales, pour me dérober à quelles persécutions, poursuivre quels mirages. Je ne vis plus au ghetto, je le porte en moi, je n'en sors plus, je suis claquemuré de toutes parts. Une éclaircie par-ci, un interstice par-là, une illumination de loin en en loin, toujours décevante. A certains moments, je me dis que ma perplexité n'est qu'un mince voile qui me scinde en deux, à d'autres que ce sont de sourdes murailles ou de lourdes censures. Pourtant on prétend que le voile se serait déchiré depuis longtemps, les murailles se seraient écroulées, les censures auraient été levées. Mais peut-être ont-ils seulement changé de nature puisqu'on serait de plus en plus nombreux à exhiber publiquement un autre personnage que celui qu'on abrite en soi et qu'on ne peut, pour une raison ou l’autre, dévoiler. Seul celui qui niche dans les cœurs et sonde les reins saurait.