The Euro-Mediterranean Institute for Inter-Civilization Dialog (EMID) proposes to promote cultural and religious dialogue between Mediterranean civilisations ; to establish a network of specialists in inter-Mediterranean dialogue ; to encourage Euro-Mediterranean creativity ; to encourage exchange between Mediterranean societies ; to work to achieve Mediterranean conviviality ; to advise charitable organisations working around the Mediterranean and provide the support necessary to achieve their original projects.
L’Atelier de Kafka / David Berger
David Berger aime les (bons) mots, voire les mots valises comme cette bio-bibliographie de Kafka, où il entasse pêle-mêle les lettres (surtout Les Lettres à Félice et Les Lettres à Milena), le Journal de ce dernier et différents témoignages et interprétations sur Kafka et son œuvre. Bagage en main, il nous entraîne dans l’atelier de Kafka, dans sa chambre, ou même comme l’a écrit Kafka à Félice, dans sa cave.
Mais avant, Berger le replace d’abord à Prague, dans sa famille, son milieu social, son travail, parmi ses amis, ses amours (le plus souvent épistolaires). Il nous parle de ses intérêts très variés (entre autres le théâtre yiddish), de ses habitudes végétariennes, de sa maladie et, plus que tout, de l’écriture puisqu’elle tient toutes ses nuits, voire ses jours, lorsque Kafka écrit des lettres ou son Journal.
Il nous montre que Kafka, même s’il s’en défend, possède « ce trait du Juif assimilé-non-assimilé de l’époque » (p.55). De même, pour ses velléités sionistes : « Kafka ne cachait pas son intérêt pour les motivations des pionniers qui partaient en Palestine. La possibilité d’immigrer était dans l’air » (p.58). David Berger élabore et nuance le portrait d’un Kafka qui, s’il adopte certaines positions de son temps, est toujours en conflit avec lui-même, prenant tour à tour tous les points de vue possibles par rapport à une question, sans jamais arriver à trancher. Mettant en miroir ses textes et ses écrits intimes, le bio-bibliographe revient sur l’œuvre de Kafka, non pas tant pour en montrer l’origine biographique, mais plutôt pour en dégager les thèmes exprimés et débattus sans fin dans ses lettres ou son Journal et poursuivis de manière cryptique dans ses récits : « La communication à une Académie traite du mariage et du célibat » (p. 97).
Berger défait habilement les interprétations des autres critiques, en insistant sur la résistance des textes de Kafka aux commentaires, ou au contraire sur la possibilité de leur multiplicité. Il suggère sa propre lecture qui, elle, s’ancre dans le style de Kafka « (qui) se livre souvent à son insu à une composition quasi midrashique, modalité par excellence de l’écriture de l’exil, sûrement une œuvre incompréhensible du commun des lecteurs. On s’accroche parce qu’on est retenu par une lecture qui se cherche une vocation ou un mandat (d’arrêt) qui attendrait on ne sait quel verdict » (p.119). Avec une certaine virtuosité, Berger joue sur les mots pour déjouer toute forme d’interprétation et nous renvoyer au texte même de Kafka (encore une fois, ses écrits intimes comme son œuvre, puisque pour adopter le style Berkafkaïen : « Tout est intime et rien ne l’est ».) L’auteur qui a précédemment écrit un roman « Cousu dans la peau de Kafka » (titre emprunté à ce dernier) se garde, comme lui, d’être définitif et laisse notre imagination parcourir son texte et ceux de Kafka.
Néanmoins, on lui reprochera de trop citer l’ami fidèle, Max Brod, dont le plus grand mérite n’est pas d’avoir saisi la personnalité de Kafka, son souci étant de l’ériger en un Saint, ni de bien écrire lui-même, mais d’avoir désobéi à l’interdiction formelle (et forcément contradictoire) de Kafka de brûler tous ses écrits. Berger reprend par ailleurs la comparaison entre Kierkegaard et Kafka : « L’un et l’autre s’empêtraient dans leurs fiançailles et donnaient à leurs démêlés sentimentaux et para-matrimoniaux la tournure d’un chemin de croix » (p.114). Ce faisant, il tire de nouveau Kafka vers la philosophie, même s’il note : « Il se détournait des questions philosophiques » (p.155). Si, quelques lignes plus loin, il écrit « On n’en est pas moins dispensé de s’interroger sur la philosophie de Kafka », n’est-ce pas alors pour régler leur compte aux critiques philosophiques de Kafka ? Quant à ceux qui l’interprètent à travers le prisme de la psychologie ou de la théologie, il déclare, à l’instar de Walter Benjamin, qu’ils se fourvoient. A ouvrir à tort et à travers la valise de Kafka, contredire les uns, dénigrer les autres et élaborer sa propre théorie, Berger est lui aussi entraîné loin de la table de travail de Kafka (là où ce dernier était le plus souvent et, sinon, là où il rêvait de retourner). Si avec son « Kafka écrit pour rien » (p.119), Berger reprend la formule de Barthes « Ecrire est un verbe intransitif », il ne suggère que sur quelques pages que pour Kafka la seule et vraie raison de vivre ou de mourir est l’écriture et la littérature. Dans son article sur Kafka : « Personne n’aime la littérature » (L’Infini, hiver 1990), placé après des pages du Journal de Kafka traduites en français et encore inédites en 1990, puisque censurées par le puritain Max Brod, Philippe Sollers interrogeant la multiplicité et parfois l’opposition des différentes interprétations de Kafka, conclut : « On ne veut rien savoir de Kafka (…) C’est un déclencheur automatique de perturbations d’identités. (…) Personne ne veut d’un Kafka simple dans sa complication apparente, ni d’un Kafka compliqué parce que sa simplicité touche à une évidence toujours niée : la littérature. » Dans L’Atelier de Kafka, David Berger, bon gré mal gré, approche Kafka dans sa simplicité et sa complexité. Surtout, il nous le donne à lire, et même si on reste au seuil de la cave de Kafka, il le laisse nous redonner le goût de la littérature.

