The Euro-Mediterranean Institute for Inter-Civilization Dialog (EMID) proposes to promote cultural and religious dialogue between Mediterranean civilisations ; to establish a network of specialists in inter-Mediterranean dialogue ; to encourage Euro-Mediterranean creativity ; to encourage exchange between Mediterranean societies ; to work to achieve Mediterranean conviviality ; to advise charitable organisations working around the Mediterranean and provide the support necessary to achieve their original projects.
LE JOURNAL DE LA PERPLEXITE : UNE VILLE POUR (G)ORGONE(S)

Tanger retentit de la clameur d’Hercule qui creusa le détroit d’un coup d’épaule et du cri de ralliement de Tarik Ibn Ziad qui investit le rocher qui portera son nom (Gibraltar). Elle hésite entre la Méditerranée et l’Atlantique, tergiverse entre les mythologies grecque et arabe, se départ de l’Afrique pour se tourner vers l’Europe, se cherche une voix entre la France et l’Espagne, balance entre le repli intégriste et l’ouverture déliée, bascule de l’opulence à l’indigence. Elle serait toujours hantée du souvenir de Paul Bowles adoubant les auteurs venus partager ses sensations et ses émotions. Elle reste la ville de toutes les inspirations, les contrebandes, les devises. Elle regorge de racoleurs pour tout et pour rien. Le change, les hôtels, la drogue, les massages… les passages pour l’autre rive. On doit aller chercher sa poétique dans l’œuvre de William Burroughs, si tant est que celle-ci recèle autre chose qu’une antipoétique, et son climat dans celle de John Hopkins. Que cherchaient-ils donc tous ces réfugiés artistiques ? – La Lumière bien sûr ! L’Internationale aussi. La liberté d’être écartelé et de vivre intimement son écartèlement.
Longtemps, Tanger se livra à tous ceux qui la racolaient de leurs musiques et de leurs lettres. Je veux croire que ses bâtisses recèlent des centaines sinon des milliers d’œuvres. Des romans, des scénarios, des compositions musicales, des… poèmes. Dans toutes les langues. Désormais, elle ne retiendrait plus autant les artistes. Bien sûr, elle abrite toujours des résidents temporaires qui la choisissent pour ramoner leur vie ou la dissiper. C’est qu’elle reste une curiosité internationale qui s’est donné l’un des plus grands ports maritimes au monde et a converti partiellement son port de pêche en port de plaisance. Une ville gueuse par-ci, rangée par-là. Une ville en chantier où des cohortes de travailleurs s’échinent à mettre de l’ordre dans ce débarras de l’histoire et remédier aux négligences de décennies d’incurie politique et municipale. La casbah ravalée par ses nouveaux sociétaires serait désormais un moulin de ragots sur les nouvelles mille et une nuits, les nouveaux cent coups de la ville, leurs souvenirs dans des mémoires de plus en plus vermoulues. Les bâtisses et les palais ont été restaurés par des étrangers qui se languiraient d’eux davantage qu’ils ne les habiteraient. Ils portent les noms de leurs célèbres locataires. Dans la muraille, un petit trou aux lignes du grand Maghreb aurait donné son titre à un récit – connu de notre seul guide ! – de Mohamed Choukri, enfant des rues, sauvé de l’analphabétisme et de la prostitution par les lettres, traduit par des sommités comme Bowles et Ben Jelloun. Le guide s’interdit de nous introduire dans le mausolée vert de la maraboule (qui serait le féminin de marabout) qui servit de modèle à Matisse.
Ce guide-là connaissait les exploits de je ne sais quel James Bond davantage que ceux d’Hercule. Mais peut-être était-il prémonitoire pour deviner que les films d’aujourd’hui se substitueraient dans mille ans aux mythes qui nous ont bercés ces trois derniers millénaires.

