NOTE DE LECTURE : HISTOIRES FLORENTINES (1532)

30 May 2022 NOTE DE LECTURE : HISTOIRES FLORENTINES (1532)
Posted by Author Ami Bouganim

Machiavel est si pris dans la toile des intrigues de Florence avec ses conspirations, ses meurtres, ses trahisons... qu'il promeut, par-ci, par-là, des règles de vendetta au rang de principes politiques. Il est sous l'ascendant de Cosme de Médicis auquel il attribue le propos selon lequel « on ne dirigeait pas l'Etat le rosaire entre les doigts » (« Histoires Florentines » VII, 6). D'un côté, l'esprit de modération, de l'autre, l'esprit de discorde ; d'un côté, l'honneur et le courage ; de l'autre, la perfidie et la lâcheté, etc. Dans cette ville secouée de dissensions, même Machiavel ignorerait le juste milieu. La politique ne s'arrange pas de demi-mesures – comme dans cette réplique du patriarche Vitelleschi, chef des armées du pape, arrêté sur l'ordre de ce dernier : « Les grands personnages..., on ne les prend pas pour les relâcher, et ceux qui valent d'être mis à l'ombre, il vaut mieux ne pas les remettre au soleil » (« Histoires Florentines » V, 27). Dans cette chronique politique, on en est réduit à glaner des mots intéressants du genre de celui-ci sur les conjurations : « Le petit nombre empêche le succès et le grand nombre les fait découvrir » (« Histoires Florentines » III, 28) ou sur le pouvoir : « Cette insolence qu'inspire la durée du pouvoir » (« Histoires florentines » IV, 2).

Machiavel ne prend pas le recul nécessaire par rapport à la pratique politique pour accéder à des considérations théoriques. Un brave secrétaire de cabinet se mettant sur ses vieux jours à coucher par écrit ses souvenirs de service et à rédiger un manuel du pouvoir. Cette cavalcade d'émeutes, de renversements d'alliances, de conspirations, de querelles intestines, de guerres ennuie davantage qu'elle ne suscite l'intérêt. On attendrait longuement quelque commentaire qui tirerait ces histoires florentines de leur cadre domestique. Machiavel ne se remarque ni par son envergure intellectuelle ni par sa vision politique. Seulement, par-ci, par-là, des constatations et des remarques pertinentes : que les circonstances d'urgence réclament des mesures d'urgence ; qu’en politique l'audace pallie au manque de sagesse ; que la victoire politique brouille la moralité ou l'immoralité des actes et leurs motivations. On trouve chez l’auteur une prédilection pour les antiphrases qui donnent à certains passages des tournures proverbiales du genre : « ... qu'offenser sans raison, c'est donner une raison d'offenser, et que celui qui rompt la paix doit s'attendre à la guerre » (« Histoires Florentines » VI, 25). Des traits d'humour aussi : contraints par les Milanais de renoncer à Lucques, les Florentins « remplirent aussitôt toute l'Italie de déclarations pleines d'amertume, par lesquelles ils annonçaient que puisqu'il n'avait pas plu à Dieu et aux hommes qu'ils s'emparassent de Lucques, ils avaient enfin fait la paix avec cette ville. On a rarement vu gens plus aigris d'avoir été dépouillés de leur bien que ne le furent alors nos Florentins de n'avoir pas pu rafler le bien d'autrui » (« Histoires Florentines » V, 14).

Machiavel ne montre à la rédaction de ses « Histoires florentines » qu'une rude assiduité. Sans grande passion. Se désolant du destin de certains personnages, se réjouissant du sort d'autres. Il était visiblement du parti de l'ordre dans cette patrie du désordre qu'était Florence, se livrant à de vaines incitations à la modération qui ne convaincraient sûrement pas son… Prince : « Douceur fait plus que violence et prière plus que menace » (« Histoires Florentines » III, 25.) Ce maître de la politique aura manqué de souligner le rôle des passions derrière les agissements des acteurs de la scène politique. Dante, plus impliqué dans les manigances, poète de la politique de Florence, le rétrograderait au rang de commentateur de sa politique.