NOTE DE LECTURE : SIGMUND FREUD, L’HOMME MOISE ET LA RELIGION MONOTHEISTE (1986)

30 Apr 2023 NOTE DE LECTURE : SIGMUND FREUD, L’HOMME MOISE ET LA RELIGION MONOTHEISTE (1986)
Posted by Author Ami Bouganim

On ne comprend pas la volonté de Freud d’assimiler la religion mosaïque à celle d’Aton. Son insistance sur l’origine égyptienne de Moïse, sur son meurtre, sur la période de latence du judaïsme monothéiste, sur le retour de Moïse, zélateur de Yahvé, alors que ses gens se livrent au culte d’Élohim, ne nous avance pas dans notre compréhension du judaïsme autant qu’elle nous renseigne sur ses propres tergiversations. On ne voit pas où Freud veut en venir ; on ne comprend pas davantage ses motivations. Il ne se contentait peut-être pas de citer Heine se plaignant de sa religion comme d’« un ramené de la vallée du Nil, la croyance malsaine de l’ancienne Égypte »( S. Freud, « L'homme Moïse et la religion monothéiste », Gallimard/Follio, 1986, p. 96, remarque 1). Il ne récusait peut-être pas Moïse autant qu’il voulait le… devenir. C’était un charlatan – au sens le plus romantique qu’on puisse prêter à ce terme ! On oublie souvent que Tirésias, chargé dans « Œdipe Roi » de débrouiller l'imbroglio incestueux dans lequel Œdipe est pris, était devin.

Freud conservait des souvenirs de l’ambiance juive où il avait baigné, au point de se démarquer… des talmudistes : « On n’a pas envie de se faire ranger parmi les scolastiques et les talmudistes à qui il suffit de faire jouer leur ingéniosité » (Ibidem p. 80). Il n’était pas tant de la gent talmudique, comme l’ont prétendu certains, que de la gent kabbalistique (Voir D. Bakan, « Freud et la tradition mystique juive », Payot, 1977). Sinon, sa marque sur l’humanité n’aurait pas été aussi sidérante. Cela dit, il ne connaissait pas plus la Kabbale que le Talmud. Sans être un membre régulier du Bnei Brith – Les Fils de l’Alliance – il ne prononça pas moins d’une vingtaine de conférences entre 1897 et 1917 dans le cadre des activités que cette organisation maçonnique juive proposait à Vienne. Le 6 mai 1926, pour son 70e anniversaire, retenu par on ne sait quelles raisons, Freud charge son frère Alexandre de lire un texte où il se revendique de sa dissidence juive pour légitimer sa dissidence médicale : « J’étais moi-même juif et il m’avait toujours paru non seulement indigne, mais franchement insensé de le dénier. » Il n’invoque ni Dieu ni nation, mais « beaucoup d’obscures puissances de sentiment, d’autant plus violentes qu’elles se laissent moins saisir en des mots, et tout aussi bien la claire conscience de l’identité interne et la quiétude apportée par une même construction animique » (S. Freud, « Allocution aux membres de la Société Bnei Brith », dans « Œuvres complètes », Vol. XVIII, pp. 115-17). Les membres du Bnei Brith ont constitué, de son propre aveu, son premier auditoire, auprès duquel il cherchait comme un prétoire contre ses détracteurs. Que voulait il montrer avec le livre sur Moïse ? Que prétend-il ? Que cherche-t-il à se prouver ? Pourquoi s’encombre-t-il de considérations somme toute aléatoires ? Que change l’origine égyptienne de l’homme Moïse ? Que prouve l’origine égyptienne du monothéisme judaïque ? Je n’en ai pas la moindre idée.

Freud nous aura présenté la note de la culture et de la civilisation. L'homme a dû régler un prix névrotique pour sortir de l'état de nature. Brimer son instinct sexuel, le domestiquer et le bâillonner ; le sublimer dans des œuvres qui le laissaient sur une insatisfaction constante. Il n'aura acquis ses talents, sinon son génie, qu'au prix de sa névrose. Freud n'a pas tant découvert celle-ci qu'il en a instillé la conscience chez des personnes qui, auparavant, basculaient dans la folie lorsqu’ils ne maîtrisaient pas leur malaise. La névrose n'est peut-être que la mutation humaine de la peur de l'animal sans cesse aux aguets. Sentait-il qu’il n’était meilleure manière de traiter l’humanité que de l’exorciser de Dieu et n’était-il meilleur exorcisme que de déboulonner Moïse ? Le salut prenait-il chez lui la tournure d’une guérison universelle ?