NOTES PHILOSOPHIQUES : LA VULGATE FREUDIENNE

26 Dec 2020 NOTES PHILOSOPHIQUES : LA VULGATE FREUDIENNE
Posted by Author Ami Bouganim

Comment la psychanalyse sait-elle ce qu'elle avance ? Quelles preuves apporte-t-elle pour étayer la pertinence, sinon la vérité, de ses thèses ? De quelle nature est l’ascendant qu’elle exerce ? Sur ses partisans d’un côté, sur ses détracteurs de l’autre ? Pourquoi la remise en conscience de l'inconscient serait-elle thérapeutique ? Plutôt qu’une science ne serions-nous pas plutôt en présence d’un succédané des doctrines religieuses du salut – la guérison, le rétablissement, le bien être – qui, quelles que soient ses prétentions scientifiques, recouvre une vulgate ni plus ni moins pernicieuse que celles des doctrines religieuses, non moins compréhensive, d'autant plus totalitaire que toute critique, toute déviation, toute désertion sont mises sur le compte d’une résistance (« l'existence indéniable de la résistance ») postulée pour mieux parer aux réticences que l’on peut montrer face à ses thèses autant qu’à ses reconstitutions-explications ?

La psychanalyse repose sur quatre glissements au moins : le glissement symboliste consistant à convertir toute chose en symbole ; le glissement mythique s’articulant autour de la postulation d’un inconscient permettant d'avancer n'importe quoi sur toute chose, dans l’interprétation des rêves qui ruminent les vécus autant que des fantasmes qui nourrissent le désir ; le glissement philosophique consistant à généraliser indûment à l’ensemble des humains des constatations analytiques singulières culturellement marquées ; le glissement scientiste soumettant l'âme ( ?) à un déterminisme non moins rigoureux que celui de la science. Mais peut-être ne sont-ils pas tant des glissements que de géniales trouvailles de l’esprit mythologique tel qu’il s’est incarné en Freud ?

Cette vulgate s’est si bien préservée de toute critique que rien – comme l’a montré Karl Popper – ne ruinerait ses prétentions. On ne s’adresse pas à un psychanalyste si on ne croit pas en lui ; on ne croit pas en lui si on ne croit pas en sa « science » ; on ne croit pas en sa science si on n’adhère pas à elle. Surtout on n’en guérit pas si on n'est pas acquis à ses procédés/traitements. Parce qu’elle se veut thérapeutique, la psychanalyse prend les traits d’une religion, à laquelle elle emprunte du reste les mécanismes de remédiation sinon de salut. On s’inscrit dans la trame principale de l’humanité et de l’individualité que ses thèses déploient ; on débrouille son malaise en suivant les instructions/insinuations de son prêtre-thérapeute et en se soumettant à une confession s’étendant sur des années ; et sitôt que l’on reconstitue-décalque, sur le patron de son modèle analytique, son propre récit, l’accordant tant bien que mal à sa vulgate, on est guéri sinon sauvé. La conversion à la psychanalyse est requise pour espérer être guéri par elle. Freud ne recule pas du reste devant le recours à des termes comme « noviciat », « dissident », etc.

Dans cette doctrine de la libération, réaction aux doctrines religieuses de la mortification, la résistance opposée à la vulgate empêcherait l'accès au paradis, comme l'hérésie, dans les religions plus traditionnelles, pave la voie à l'enfer. On a l’impression que la psychanalyse repose sur le même le socle théosophique que toutes les religions – sinon qu’il n’est pas de Dieu, qu’il n’est de paradis et de purgatoire qu’ici-bas et que le salut est domestique-individuel. Dans ce contexte, on ne peut s'empêcher de s’amuser de l’étrange masque que se compose l’analyste ortho-freudien pour marquer la distance requise par la science et exercer son ascendant sur le patient. Freud est péremptoire : « La situation analytique ne supporte pas de tiers. » (S. Freud, « La question de l'analyse profane », dans Œuvres complètes, Vol. XVIII). Dans la vulgate freudienne, cette posture de l’analyste est censée garantir les conditions – dialogiques – requises au transfert. Elle n'en livre pas moins le patient à l'arbitraire du thérapeute et noue entre eux des relations problématiques. On sait pertinemment que, contrairement aux mesures de précaution prônées par la psychanalyse, le thérapeute, de quelque bord qu’il soit, exerce une influence, quoi qu’il dise ou fasse, sur son patient. Il ne peut pas ne pas le recevoir, lire ses traits et s’introduire dans leurs coulisses, interpréter ses propos. Il ne peut davantage se voiler la face. Ses traits aussi parlent, ses regards, ses gestes. L’imperturbabilité n’est-elle pas le lot des dieux et les dieux ne passent-ils pas pour s’amuser, dans le meilleur des cas, du manège des hommes se démenant en leur nom ?

Cela dit, une analyse ne saurait pas plus nuire que ruiner. Elle encouragerait le patient à concéder au temps des vertus souvent plus médicamenteuses que des barbituriques ou des placébos…