SUR LES TRACES DE DIEU : LE RENONCEMENT DE RAMAKRISHNA

23 Feb 2022 SUR LES TRACES DE DIEU : LE RENONCEMENT DE RAMAKRISHNA
Posted by Author Ami Bouganim

Râmakrishna propose comme une phénoménologie de la foi en énonçant : « Vous devenez ce que vous pensez » (« L’enseignement de Râmakrishna », p. 254). Il pousse la pensée à l’être plutôt que le contraire. Il a aussi cette phrase : « Vous deviendrez ce que vous cherchez constamment à paraître » (264). Il embrasse routes les possibilités d’accéder à la divinité et l’on a du mal à démêler des considérations derrière lesquelles transpire une intuition du phénomène religieux dans toute sa variété. De l’accès à la divinité personnelle, par le rite, l’écriture, la sagesse, à l’accès à la divinité impersonnelle, par la dévotion et l’extase. On ne le suivrait, mettant de l’ordre dans ses remarques, que si l’on procède à un relevé des divinités, de leurs noms, des états requis pour accéder à chacune d’elles. C’est si riche et tolérant que le monothéisme se présente comme une tentative de schématiser le phénomène religieux et de le réduire au culte d’un seul Dieu.

Le devoir des devoirs consiste à dissiper l’ascendant de Maya qui n’est pas tant une illusion qu’un voile posé sur l’éternité et l’immuabilité. C’est la mise en scène et la production de Brahman. Elle est son rêve et comme tout rêve, elle est irréelle, transitoire, voire dénuée de sens, à moins qu’on ne donne sens à son non-sens. Dans ce rêve de Brahman, les hommes sont des marionnettes, qu’ils soient animés par des valeurs ou des passions. Leur âme ne renoue avec l’âme universelle qu’autant qu’elle dissipe Maya ; elle ne se libère qu'en se libérant de son emprise. Tout l’art religieux consiste à s’extraire autant que possible de la dissipation et de la servitude de la scène mondaine que déploie Maya et de rompre les liens des passions, le sexe et l’argent surtout. Râmakrishna a celle belle métaphore : « La chenille s’enferme dans sa propre salive ; de même, l’âme attachée aux choses de ce monde s’enchevêtre dans les mailles de ses propres désirs. Mais quand la chenille se transforme en un beau papillon, elle déchire son cocon et jouit de la liberté, de l’air et du soleil. Ainsi, l’âme frivole peut se libérer elle-même du filet de Mâyâ en développant en soi les ailes du discernement et du non-attachement » (& 939, p. 277).

Râmakrishna n’est pas moins possédé par Dieu qu’un sage soufi ou un juste hassidique. L’invocation constante du nom de Dieu est une incantation contre les déboires et les malheurs mondains. Ses métaphores sont celles d’un brave gourou d’un village-monde. Sa grande audace reste dans sa résiliation du rite par et dans l’adoration. On sort de ses considérations avec je ne sais quel tournis. Dieu serait en tout. Dans le mal autant que dans le bien, dans le moustique autant que dans l’homme, dans les cendres autant que dans l’âme, dans l’annihilation autant que dans la vie. D’un état à l’autre, d’une école à l’autre, d’une divinité à l’autre. On ne comprend pas pour autant pourquoi on doit renoncer aux déboires de l’éphémère ni ce qui motive la quête de la divinité. Pourquoi la piété, quoi qu’on entende par ce terme, serait-elle plus intéressante que l’ébriété ou la sensualité ? On ne se rend pas, comme occidental monothéiste, à cette timoré-ité hindouiste. Le seul miracle que la foi réalise serait encore d’inscrire l’humain dans le divin, la volonté de l’homme se résolvant dans celle de Dieu ; c’est dans le renoncement qu’on se réalise en Dieu.