Tarédant - Sous protectorat. Ami Bouganim

22 May 2016 Tarédant - Sous protectorat. Ami Bouganim
Posted by Author Liliane Stein

Dans Tarédant - À bout d’Exil, le narrateur, s’adressant à son biographe, finissait son récit ainsi : « Tu n’as eu droit jusque-là qu’à un premier volume. Je te laisse deviner la suite, [...] Autrement, on devra se retrouver bon gré, mal gré, pour des séances de dictée. » Nous, c’est avec plaisir que nous  le  retrouvons pour une seule séance de lecture puisque, comme Tarédant. À bout d’Exil, Tarédant. Sous protectorat se lit d’une traite.

 Amarrés à la presque-île de Tarédant, on assiste au retour de Brave-vent, prêt à reconquérir Tarédant en proposant un programme politique pour un siècle. Ces plans sont déroutés par la venue des Français, décidés à faire de ce trou perdu, une station balnéaire. Ce que le narrateur ne raconte pas c’est que, pendant ce temps-là, Jean Jaurès refusait de signer le traité de protectorat en prononçant devant la chambre des députés un discours digne du plus doué des Rédanais : « Et d’abord, [...] de quel droit prenons-nous le Maroc ? Où sont nos titres ? » Peut-être savait-il qu’à Tarédant on n’en manquait pas. D’ailleurs, dans ce volume, on découvre d’autres Rédanais hauts en couleur : Pince-sans-Rire, Trouble-Cieux, Gratte-Papier, Tourne-Vice.

Les motifs du choix des Français restent quelque peu obscurs, mais pour Jaurès, ils sont clairs : « [...] c’est pour rétablir l’ordre [...] N’ajoutez pas, Messieurs, que c’est pour promouvoir la civilisation [...] » Et Jaurès d’ajouter : « Quoi ! Vous avez là une civilisation admirable et ancienne, une civilisation qui, par ses sources, tient à toutes les variétés du monde antique, une civilisation où s’est fondue la tradition juive, la tradition chrétienne, la tradition syrienne, la force de l’Iran et toute la force du génie aryen mêlée avec les Abbassides à la force du génie sémitique ; »

Enfin ! Un Français qui reconnaît l’apport de Tarédant à la civilisation ! D’ailleurs, Pain-de-Sucre avant de devenir Limace-des-Encres, dépasse Voltaire dans sa critique de Leibnitz, par cette formule claire et ramassée : « les choses s’annonçaient sous les meilleurs augures dans le pire des mondes possibles. » et l’Alliance Israélite française,  la France comme la judaïté en prennent pour leur grade : une « Alliance piteusement israélite et prétentieusement universelle ». Quant au sionisme… « (Il) menaçait de résilier dix-huit siècles d'entente judéo-arabo-berbère et de ruiner un exil prometteur de génie et de talent. » Au point que Tarédant rivalise avec Jérusalem et lorsque vient le moment d’enterrer Fils-du-serpent I,  après bien des atermoiements, Tarédant, l’emporte en sainteté (pour le coup, en proximité et en commodité aussi, ce que l’histoire apologique ne retient pas).

Pourtant, Jaurès qui, tout porte à le croire, s’est régalé de la lecture de ces deux volumes, se trompe sur un point, et non des moindres : « [...] les indigènes, sentant peser sur eux le poids de la conquête, se bornaient à approuver. Vous savez bien que les indigènes ont désigné leurs représentants dans les conseils consultatifs par un mot pittoresque : la tribu des Beni-Oui-Oui. » (du mot arabe et hébreu ‘‘(i)ben : fils de’’). Or, les Rédanais sont plutôt des bâtards-Non-Non. Leur résistance s’organise jusqu’à l’apothéose démiurgique : la terrible tempête de vent qui s’abat sur la presqu’île et qui balaye tout sur son passage.

Le narrateur, lui, garde le cap et poursuit vaillamment sa bataille littéraire en y faisant entrer, Capitaine des vents, digne représentant de Céphalonie, plus connu sous le nom de Mangeclous. Ce dernier personnage se fond si bien dans le paysage rédanais qu’on ne sait  plus qui, d’Ami Bouganim ou d’Albert Cohen, est son inventeur. Notre conception de l’histoire littéraire en est foncièrement ébranlée, (illustration savoureuse du plagiat littéraire de Pierre Bayard) et sa chronologie disparaît au profit du temps rêvé de la littérature… Pourvu que le vent ne tourne pas et que l’on y reste parce que l’on est, foi de Rédanais, en bonne compagnie.