VARIATION JUDAIQUE : LA SURENCHERE KABBALISTIQUE

24 Jun 2024 VARIATION JUDAIQUE : LA SURENCHERE KABBALISTIQUE
Posted by Author Ami Bouganim

La kabbale donne libre cours au désarroi et à la pugnacité d'un peuple qui ne peut renoncer à son élection sans se perdre. Elle achève d'arracher sa théologie du registre politico-juridique (constitutionnel ?) pour l’inscrire – de nouveau ? – sous le registre cosmogonique. Elle réintroduit le mythe dans un judaïsme – volontairement ? – brouillon, dispersé entre ses traités talmudiques qui présentent le mérite de déconstruire la Bible pour accéder à un dessillement religieux qui déborderait la théogonie biblique. Ses tentatives d'expliciter l'élection d'Israël convergent dans un manifeste de la réclusion, requise par la mission de « réparer le monde » sinon la divinité, elle-même exclue / désactivée / déchue / brisée. On a beau creuser, on ne trouve que des digressions destinées à compenser les carences d’une intelligence bibliste et talmudiste, tentant de les dépasser dans un emballement cosmogonique encore plus délié que dans l’homilétique talmudique. A l’Hébreu, volontiers bibliste, et au Pharisien, volontiers talmudiste, succéderait le Y., volontiers kabbaliste.

La kabbale est davantage un pastiche qu’une interprétation de la Torah. Il n'est rien qu'elle néglige et dont elle ne tire sens. Elle recourt à toutes sortes de procédés, plus ingénieux et délirants les uns que les autres, pour parer à l’on ne sait quels démentis. Elle ne s'exerce pas sur un verset pour en tirer un sens allégorique ou l’emballer dans un récit allégorique. Elle déploie par ailleurs sa générativité symbolique dans tous les sens. Elle se pose en doctrine de l'intrigue primordiale, au nœud de la Création, et de son dénouement dans le salut messianique. La kabbale se révèle une doctrine du pli où l'être bascule dans le néant et le néant dans l'être, pli de Dieu, entre être et néant, qui inspire toutes sortes de scénarios en des déchaînements de métaphores et d’hallucinations chez des auteurs s'accrochant désespérément à un Dieu qui (se) répond en l’homme qui le questionne et/ou l’assiste dans son œuvre de rétablissement et/ou prête sa voix à son silence. Ce serait la théologie d'un Dieu absent qui continue d'inspirer ses commentateurs convertis en autant d'oracles. Elle titre désormais la possession judaïque de l'homme par Dieu, voire le génie – théologique – d’un judaïsme perturbé par l’histoire, ne tentant pas de mordre de nouveau sur elle par le biais du sionisme recouvrant sa veine messianique sans menacer d’en démordre pour une péripétie que nul œil ne voit, celui des lettrés israéliens encore moins que des lettrés diasporistes.

La surenchère kabbalistique laisse pantois. Elle trahit davantage de déraillement que de sagesse. Sans autres circonstances atténuantes que d’être inspirée par Dieu. C’est une théosophie qui divague en deçà ou au-delà des limites de l'entendement. La fascination pour ses textes, plus abscons les uns que les autres, nonobstant de lumineuses éclaircies poétiques, constitue un mystère encore plus grand que les mystères cosmogoniques auxquels ils s'attachent. Seule la reconstitution de l'atelier d'étude et d'interprétation des auteurs serait à même de lever le voile énigmatique sur leur débraillé et sur le génie qui les ont sécrétés. Le Zohar, pièce maîtresse de la kabbale, ne serait rien moins que déroutant. Il illustre la prolixité de l'Esprit saint. On ne peut adhérer à une partie ou à la totalité des thèses qui pointent derrière ses commentaires sans accorder son propre esprit à la dévotion – à la crédulité ? – de leurs auteurs. C’est la science divine par excellence qui cultive Dieu en l’humain et parce que Dieu est davantage un grain de folie cultivant et légitimant la folie humaine qu’un noyau de raison la contenant, elle prend une allure décousue, dépenaillée et démente. Elle nourrit ce que l’on serait en droit de nommer une théopathie judaïque qui se rencontrerait chez les plus acharnés et irréductibles des passionnés de l’insertion judaïque dans le monde.

Photo : Livres, Van Gogh