BILLET D’AILLEURS : LASSALLE LE MAGNIFIQUE

28 Mar 2022 BILLET D’AILLEURS : LASSALLE LE MAGNIFIQUE
Posted by Author Ami Bouganim

Je comprends que l’on veuille voter Zemmour. Pour marquer son ras-le-bol d’une classe politique incolore. Pour désengager une société dont les horizons se bouchent. Pour secouer des institutions si rigides qu’elles réduisent la démocratie à une mascarade. Pour briser une énarchie qui pratique l’alternance dans la cooptation des élites. Pour redonner à la France une grandeur à la démesure de son empire colonial. Pour renouer avec le légendaire esprit de finesse embourbé dans la rue d’Ulm et ses succursales médiatiques. Les raisons (j’omets les plus cuistres et vulgaires) de voter Zemmour ne manquent pas et l’on ne voterait pour lui que pour secouer la termitière sur laquelle parade l’immuable coq. Or l’instauration d’un régime populiste de plus en plus autoritaire finirait par lancer la Légion étrangère à l’assaut de la Corse et chargerait le Charles de Gaule de rétablir la souveraineté française en Nouvelle Calédonie et en Guadeloupe. Sans parler des insurrections larvées dans les banlieues ostracisées par Bolloré et Cie. Je comprends surtout que l’on soit viscéralement révulsé par ce guignol qui incarne ce que la France a de plus teigneux et grandiloquent.

Dans cette situation, je recommanderais de reporter sa protestation sur Lassalle. Il incarne vraiment la France des paysages et des pâturages, des terroirs et des patois, de la baguette et des bouquinistes, du béret et des Lous Branlous. Il est tellement plus généreux, honnête, brave, populaire… le cœur plus intelligent ! Sans traces de cette perversité intellectuelle qui caricature les traits de Zemmour, ses ignominies, ses réparties, ses délires (il est trop bête pour mentir). Sans déni ni haine de soi. Béarnais, espagnol, français… républicain ! Sans acrimonie contre l’étranger et sans ingratitude pour l’immigré. La bonne vieille France, son accent rocailleux, ses ballades se concluant dans un concert de grelots des brebis. Plus Lassalle aura de votants et plus l’on aimera la France, plus Zemmour aura de votants et plus elle sera la risée de l’Europe et du monde. On ne comprendra jamais – l’histoire, Zemmour, le sens de l’histoire dont tu es totalement dénué – comment un personnage aussi caricatural, incarnation du colonisé colonisateur, raciste hargneux, historien calamiteux a pu convaincre autant de benêts de prendre ses désastreuses vessies pour de sordides lanternes.

Zemmour prête à pleurer, Lassalle à sourire, et la France a tant besoin de se dérider pour se résoudre à la place qui lui revient dans le concert des nations que rien ne la servirait plus que de porter ce personnage pagnolesque au deuxième tour. L’un est petit et râblé, sombre et obscur, l’autre est haut en couleurs, lumineux et cordial. Le premier a parcouru de mauvais livres, s’est graissé les méninges de citations, s’est coltiné avec la lie des médias dans les meilleurs restos parisiens ; le deuxième a soutenu de longues grèves de la faim, s’est musclé les chevilles pour sa vallée, a chahuté tout son saoul dans la chambre des notables. Je ne comprendrais vraiment pas comment l’on peut préférer un rabougri toutes catégories au « président des populations des montagnes du monde »…