The Euro-Mediterranean Institute for Inter-Civilization Dialog (EMID) proposes to promote cultural and religious dialogue between Mediterranean civilisations ; to establish a network of specialists in inter-Mediterranean dialogue ; to encourage Euro-Mediterranean creativity ; to encourage exchange between Mediterranean societies ; to work to achieve Mediterranean conviviality ; to advise charitable organisations working around the Mediterranean and provide the support necessary to achieve their original projects.
BRIBES PHILOSOPHIQUES : L’IRREDUCTIBLE PASSION

L’âme est un creuset alchimique de passions qui se nourrissent d'elles-mêmes et ne cessent de transmuer. Plus on les assouvit et plus elles en réclament et surenchérissent les unes sur les autres. Nous sommes les somnambules de nos passions, nous ne savons pas même qu’elles nous gouvernent. Elles résistent aux incantations, aux exorcismes et même… aux années. Sitôt excitées, elles entrent en purulence. C'est leur tournoiement qui imprime son tournis à l'âme et c'est ce tournis qui l'oriente dans un sens ou l'autre. Le maître soufi Rûmi disait : « C'est cette jalousie aussi qui fait tourbillonner la poussière au gré du vent[1]. » L'homme est d’autant plus caricatural qu’il n’est pas conscient de leur action sur lui, d’autant plus vaniteux qu’il en alimente toutes sortes de vocations, d’autant plus risible qu’il se les voile, d’autant plus pathétique qu’il se pose en victime de celles des autres.
Les passions n'écoutent qu'elles-mêmes et ne cessent de calculer pour parvenir à leurs fins. Leur emprise sur les hommes pervertit jusqu’aux processus de rationalisation consciente et inconsciente concernant des questions pratiques, en l’occurrence morales, n’autorisant que des relations politiques empreintes de plus de rouerie que d’intelligence. Les « raisonnements » de la passion sont d’autant plus pernicieux qu’ils assimilent volontiers les contradictions, les écueils et les dogmes, tournant immanquablement à la ratiocination qui résiste aux démentis, reconstruisant la réalité plutôt que de s’avouer vaincue par elle. Il n’est de rationalisation saine, dit-on, que de la passion éclairée par l’intelligence ( ?), sans que la première ne cherche à discréditer la seconde, la seconde à neutraliser la première. Mais je ne sais s’il est un intellect ni ce qu’il peut être et l’intellectualisme moral recouvre un de ces débats dans lesquels la pensée ne cesse de s’empêtrer. Le dosage des passions n’est pas tant intellectuel – on ne trouve pas passions plus impérieuses que chez les intellectuels patentés – que passionnel, politique et rhétorique. Sinon les passions sont contenues par la crainte du châtiment, par les dogmes qui seraient autant de nœuds passionnels et par des rites qui ne seraient qu’autant de contraintes passionnelles. Seule la religion, parce qu’elle est super-passionnelle, réussit encore à aiguiller les passions charnelles-intellectuelles et à les contrôler quand elle ne les brime pas au prix d’excitations de masse encore plus véhémentes et dangereuses que les passions individuelles. La passion peut tourner à la démence et se révéler un marécage duquel on ne sort que contraint et forcé par la douleur ou la violence.
On n’a jamais fini de dissiper les pouvoirs qu’exercent les passions, qu’elles soient sensuelles ou religieuses. On ne se laisse autant bercer et berner par elles que parce qu'on n’est ni de nature ni par éducation des êtres « logiques ». On accède bien à la logique pour mener des recherches, on n'inscrit pas pour autant notre vie sous son régime. Les passions nous en empêchent, et la plus impérieuse est encore celle qui nous porte au merveilleux et à l'irrationnel. Le sens même se niche dans le récit concocté dans la peur et dans l’espoir. La meilleure manière de surmonter l’une et de s’accrocher à l’autre est encore de se mobiliser au service d’une cause transcendant la vie et la mort. Le courage est dans cette galvanisation qui porte la peur au seuil du destin où elle risque de succomber au vertige. L’art de vivre réclame peut-être de maîtriser ses passions, les moduler, les voiler, les transmuer, pour le meilleur et pour le pire, mais sur ce point on aurait plus de flagorneurs que de héros. Les passions font de l’homme soit un abcès sanguinolent, soit un abcès cicatrisé. Dans le premier cas, il est harassé et harassant ; dans le second, il est couturé et caricatural.
[1] M. D. Od-Dîn Rûmî, Odes mystiques, Points, Sagesse, 1973, 997, p. 388.