BRIBES PHILOSOPHIQUES : LE ROLE DE LA PHILOSOPHIE

5 Nov 2018 BRIBES PHILOSOPHIQUES : LE ROLE DE LA PHILOSOPHIE
Posted by Author Ami Bouganim

Pourquoi la philosophie semble-t-elle donner des signes de sénilité ? – Parce qu’elle radote en vain, n’engage plus sans exercer des charmes somme toute sectaires sur les partisans de l’une ou l’autre des sommités, que ce soit Spinoza ou Hegel, Freud ou Lévinas ? – Parce qu’elle est de bric et de broc et propose, dans le meilleur des cas, un délassement intellectuel proposant, par-ci, par-là, des illuminations intéressantes et des bribes de sens ? – Parce que désespérant de toute doctrine du salut, elle bascule volontiers dans le prêche invoquant un Dieu paradoxal, un Dieu épouvantail, un Dieu de paille ou même un Dieu transcendant ? – Parce qu’elle rature davantage qu’elle n’énonce ou éclaircit ? – Parce qu’elle s’est discréditée dans le travail de déboulonnage des sommités du passé sous prétexte de remplir son rôle critique ? – Parce qu’elle recherche l’éclat plutôt que la pertinence ? – Parce que sa médiatisation l’accule à s’aligner sur le sens du poil des auditeurs et des spectateurs parmi lesquels se recrutent ses lecteurs ? – Parce qu’elle est tellement débordée par les sciences et leurs applications technologiques et qu’elle ne traite pas des questions qu’elles soulèvent, soit parce qu’elle ne sait pas comment les aborder, soit parce qu’elle ne se risque pas à en traiter ?

Souvent, la philosophie se présente comme une science occulte. Ses textes constituent un univers hermétique où l’on doit s’insinuer pour saisir des lueurs entre les interstices de ses profondeurs. Elle embrouille tant les choses qu’on perd le sens de la réalité. Elle embrume tant l’esprit qu’elle fait  passer des lubies pour des lanternes. Elle séduit tant l’intellect qu’il se croit investi de tous les pouvoirs. Elle envoûte tant ses partisans qu’ils se sentent auréolés de sagesse. Elle n’est pas moins pernicieuse et nocive que tout autre science occulte, internant volontiers ses maîtres et leurs disciples dans des doctrines étranges. On en est à se poser des questions qui horripileraient les casuistes de la philosophie : pourquoi l’abscons et l’obscur sont-ils marques de gravité philosophique ? Pourquoi les auteurs les plus confus sont-ils considérés comme les plus sérieux ? Pourquoi la clarté et la lisibilité sont-elles signes de vulgarisation sinon de platitude ? Pourquoi la confusion exerce-t-elle autant d’envoûtement sur les esprits sains ? De deux choses l’une : soit la compréhension des textes philosophiques passe par leur explicitation-traduction au sens commun, soit elle persiste à les commenter en termes philosophiques, renchérissant sur leurs énoncés, les pastichant ou les ensevelissant sous des commentaires encore plus recherchés. Finalement, la philosophie ne présente qu’un seul avantage sur les autres sciences occultes, d’Orient et d’Occident, et c’est qu’il lui arrive de s’arracher au ressassement de soi, de briser les charmes occultes et de s’illustrer comme poursuite de la science : la philosophie serait si dissolue que seule la science peut encore la réduire au silence. Sinon le philosophe reste prisonnier de son territoire philosophique et de ses limites linguistiques comme, pour citer Wittgenstein, « just as a man can spend his life travelling around the same little country and think there is nothing outside it ».

Le lecteur philosophe doit renoncer à voir éclore une nouvelle philosophie qui ne serait pas celle de la science, éclaircissant ses postulats, ses thèses, ses percées et ses incidences éthiques, sociales, politiques, thérapeutiques, voire religieuses. Autrement la philosophie risque bien de titrer une noble et irritante sénilité qui rechignerait à reconnaître les doses de dogmatisme qui se glissent dans ses considérations.