The Euro-Mediterranean Institute for Inter-Civilization Dialog (EMID) proposes to promote cultural and religious dialogue between Mediterranean civilisations ; to establish a network of specialists in inter-Mediterranean dialogue ; to encourage Euro-Mediterranean creativity ; to encourage exchange between Mediterranean societies ; to work to achieve Mediterranean conviviality ; to advise charitable organisations working around the Mediterranean and provide the support necessary to achieve their original projects.
CHRONIQUE DE JÉRUSALEM : LE GARDIEN DE CITÉ


Jérusalem, an 5808 selon le calendrier hébraïque, an 2048 selon le calendrier chrétien, an 1470 selon le calendrier musulman.
Le roi David courait trop les femmes pour que l’on s’émeuve de son amour pour Bethsabée et du procédé auquel il recourut pour se l’approprier. On se souvient davantage de la condamnation par le prophète Nathan de ses manœuvres romantico-militaires consistant à mettre les époux des femmes qu’il convoitait en première ligne plutôt que de leur chanter… des psaumes. Le prophète lui raconta la célèbre Parabole de la Brebis :
L'Eternel envoya Nathan à David. Il vint à lui et lui dit : « Deux hommes habitaient une même ville, l'un riche, l'autre pauvre. Le riche possédait du menu et gros bétail en grande quantité ; le pauvre n'avait rien qu'une seule petite brebis, qu'il avait achetée. Il la nourrissait, et elle grandissait auprès de lui et de ses enfants, mangeant de son pain, buvant à son verre, et couchant en son sein, il la traitait comme sa fille. Or, le riche reçut la visite d’un voyageur, et trop ménager de ses propres bêtes pour en offrir une à l’hôte, il s’empara de la brebis du pauvre et la lui servit… » David entra dans une grande colère contre cet homme et dit à Nathan : « Par le Dieu vivant ! il mérite la mort, l’auteur d’une telle action ; et la brebis, il doit en payer quatre fois la valeur, parce qu’il a commis cet acte et n’a pas eu pitié ! » Nathan dit à David: « Cet homme, c’est toi-même ! » » (II Samuel 14, 1-7).
Salomon tenait, lui, un tel harem de femmes, se doublant du panthéon de leurs divinités respectives, que l’on ne s’émeut pas davantage de sa liaison avec la reine de Saba. C’est dire que Jérusalem n’est pas riche en belles histoires d’amour. La plus suave, me semble-t-il, est encore celle entre le rabbin Amram Bloy (Jérusalem, 1894 – 1974) et Ruth la Convertie.
Dans les deux premières décennies qui suivirent la création d’Israël, Rabbi Amram Bloy était avec Rabbi Aharon Katznelboeggen les deux dirigeants de la formation intégriste la plus antisioniste de Méa Shéarim, le cœur palpitant de piété de Jérusalem. Déjà sous le Mandat britannique, qui se termina en 1948, les organisations clandestines sionistes de défense recrutaient, par-ci, par-là, dans les milieux intégristes partagés entre leur opposition au rétablissement d’une souveraineté juive avant la venue du Messie et le devoir de solidarité inter-juive. Bloy et son collègue cherchaient une réplique à ces velléités sionistes au sein de la population de Méa Shéarim. Ensemble, ils créèrent un minuscule parti d'irréductibles pour lequel ils cherchèrent un nom. Un commentaire talmudique – un midrash – raconte que Rabban Yohanan Ben Zakkaï, maître du IIe siècle qui quitta Jérusalem assiégée par les Romains dans un cercueil pour s'établir avec ses disciples à Yavneh, alors une bourgade sur ce qu’on nommait la plaine côtière, demanda à voir les gardiens d'une localité qu'il visitait. On les convoqua pour les lui montrer :
Rabban Yohanan dit :
« Ce sont là ses destructeurs. »
On lui demanda :
« Qu'entends-tu par gardiens de la ville [Netourei Karta en araméen]? »
Il répondit :
« Je cherche les étudiants de la Loi, ce sont les véritables gardiens de la ville. »
Dans la théosophie juive, Rabban Yohanan passe communément pour le conservateur du judaïsme post-souverainiste.
Rabbi Amram n’hésita pas longtemps. Les membres de sa formation seraient les nouveaux Netourei Karta, alliant l’étude à la résistance au sionisme assimilé à un faux messianisme, et jusqu'à son grand et vibrant roman avec La Convertie, le bouillonnant rabbin fut le fer de lance de la contre-offensive intégriste contre le sionisme, et Rabbi Aharon, son cerveau. Le premier menait les cortèges des manifestants, le second calmait les esprits pour ne pas voir les policiers commettre de péchés… en réprimant les manifestants.
Rabbi Amram était un homme décidé et sensible, un juste, rien de la tête brûlée que la presse laïque de l'époque présentait à ses lecteurs, prévenant les heurts plutôt que les provoquant. Il sillonnait les rues de Méa Shéarim avec un panneau recommandant aux filles d'Israël de respecter les règles de la pudeur. Il lui arrivait également de revêtir un sac de deuil pour protester contre les décisions du gouvernement israélien, que ce soit à l'occasion de la promulgation du décret ordonnant l'enrôlement des femmes que du premier carnaval de Pourim qui se tint dans la ville sainte. Sitôt qu'on l'alertait pour parer à un sacrilège, il laissait tout tomber pour tenter de l'empêcher. Il s'acharnait en particulier contre le cinéma Edison, situé à proximité de Méa Shéarim, qui persistait à ouvrir la veille du shabbat : il glissait sa tête dans le guichet, entravant la vente des billets. La police n'avait d'autre choix que de l'arrêter ; les tribunaux de le relaxer. Il aimait, je crois, ces allers et retours entre la maison d'arrêt où il s'improvisait rabbin des détenus, convertis en autant de repentis, et son lit où il ruminait ses actions d'éclat. Bloy avait pour coutume de lire un chapitre des psaumes avant de prendre la tête des cortèges de manifestants. Il alliait deux traits dont il était le premier à louer l'alliage : « Pieux d'un côté, hiérosolomytain de l'autre. » Son antisionisme était tel qu'il s'interdisait d'utiliser la monnaie israélienne. C'était un artiste de la résistance non-violente.
Au bout de longues décennies d’une lutte somme toute glorieuse, il céda, non tant aux sirènes sionistes qu’aux… desseins du Très-Haut. Il arriva ce qui ne se produit en général que par la volonté d'un ciel où Dieu, assimilé davantage à un Agent matrimonial universel qu'à un Intellect agent ou un Autre absolu, passerait son temps à assortir et accoupler les âmes. L'amour se déclara dans son cœur, l'amour charnel, l'amour religieux, le célèbre amour liturgico-sensuel qui tresse ensemble désir et prière – et pour une convertie de quarante-cinq ans, française de surcroît. Il avait soixante-douze ans, il était veuf depuis deux ans, père et grand-père d'une progéniture nombreuse. C’était si je ne m’abuse au début des années 70 du XXe siècle.
Jérusalem n’allait plus oublier cet amour avec lequel aucun autre ne rivaliserait à ce jour…
Photo : Un mur-journal dans une rue de Méa Shéarim.