The Euro-Mediterranean Institute for Inter-Civilization Dialog (EMID) proposes to promote cultural and religious dialogue between Mediterranean civilisations ; to establish a network of specialists in inter-Mediterranean dialogue ; to encourage Euro-Mediterranean creativity ; to encourage exchange between Mediterranean societies ; to work to achieve Mediterranean conviviality ; to advise charitable organisations working around the Mediterranean and provide the support necessary to achieve their original projects.
CHRONIQUE DE PHILISTIE : LA JUDEE CONTRE ISRAEL
Le charme est brisé. Je ne sais pour combien de temps. Je suis mal placé pour proposer un diagnostic. Parce qu’on n’en propose pas dans le cas d’un patient qui connait des turbulences de cette violence. Ce serait du reste au-dessus de mes forces. Je suis moi-même irrésistiblement pris dans un tourbillon. C’est trop compliqué, trop enchevêtré, avec tant de paramètres que ça dissuade toute tentative de démêler l’écheveau messianique-sioniste – messioniste – qui ne cesse de se compliquer à mesure que les colons étendent le régime rabbinique théocratique qu’ils ont instauré dans leur royaume de Judée à l’ensemble d’Israël pour lequel il représenterait la principale menace de démantèlement – loin au-delà de la menace iranienne, contre laquelle les régents israéliens et leurs services de sécurité ne peuvent rien sans le concours des Etats-Unis, et de la menace du Hezbollah au nord ou du Hamas au sud qui comprennent qu’un harcèlement militaire reconstituerait l’entente nationale contre eux et que jamais ils n’obtiendraient par les armes ce que les Judéens leur fourniraient dans leur cécité politique. La crise – religieuse, ethnique, sociale, économique, constitutionnelle – draine toutes les contradictions qui grèvent l’existence d’Israël et qui ont été occultées pour maintenir une cohésion civile qui est en train de voler en éclats.
C’est, autant le reconnaître, une romance qui s’effiloche de décennie en décennie et rien ne serait plus difficile à rafistoler qu’une romance. Elle portait sur le retour des Juifs errants à la Terre promise, le rassemblement des exilés, le creuset d’une armée populaire, une volonté tenace de combattre pour survivre, une ingéniosité tous terrains, un modèle de coexistence qui s’accommodait des clivages ethnico-communautaires, la montée de nouvelles générations dont on était curieux des allures qu’elles auraient et des rêves qu’elles caresseraient. Or même les discours les plus sophistiqués sur le judaïsme et le sionisme sonnent désormais creux. Or même le respect que l’on témoignait aux généraux est battu en brèche par des têtes brulées, pour certaines planquées, qui démoralisent les plus motivés des pilotes et des marins traités de traitres, de déserteurs, de pouilles mouillées pour leur refus de se porter volontaires au service d’un régime qui risque de balancer dans un autocratisme corrompu et corruptible. De loin, on ne comprend pas grand-chose parce qu’on s’accroche à un découpage géopolitique qui ne permettrait pas de sentir l’acuité des turbulences qui secouent ce que l’on nommait jusque-là Israël, dont on ne savait où passaient les frontières, quels étaient les statuts des différentes populations et quelles étaient les tensions entre elles. Sans un nouveau découpage, encore en gestation, on peinerait à saisir les véritables enjeux auxquels « Israël » est confronté.
Entre la Méditerranée et le Jourdain nous avons à ce jour trois aires politiques. 1. La Bande de Gaza, clôturée de toutes parts, avec un accès au Sinaï égyptien, un autre à Israël pour permettre le passage de journaliers et un accès à la mer pour la pêche. C’est une minuscule entité islamiste, gouvernée par des milices islamistes, que ce soit le Hamas ou le Djihad islamique. Les seuls échanges qu’ils entretiennent avec Israël sont de roquettes et de fonds koweitiens, qataris ou iraniens transitant ou non par les banques israéliennes. 2. L’Etat d’Israël s’étendant de la Méditerranée à la ligne verte, qui désignait la frontière orientale jusqu’à la guerre des Six Jours en juin 1967 et sur des pans de laquelle courent la muraille qui sépare, en principe, Israéliens et Palestiniens. Israël abrite en son sein une population arabo-palestinienne représentant 20 % de sa population, bénéficiant de tous les droits civiques et politiques, davantage préoccupée ces jours-ci par les réseaux de la pègre qui sévissent quotidiennement dans leurs agglomérations que de la dissidence latente qui caractérise sa relation avec l’Etat d’Israël. Celui-ci abrite également une minorité juive intégriste qui ne concède aucune légitimité religieuse à Israël et ne reconnaît que l’autorité des tribunaux rabbiniques et celle des rabbins qui dirigent leurs institutions talmudiques ou règnent en monarques de droit divin sur leurs sectes respectives. Ils ne servent pas dans les rangs de l’armée, plus de la moitié des hommes ne travaillent pas, ils étudient la Torah, subsistant grâce aux subsides qu’Israël leur concède sans rien demander en échange. 3. Le Royaume de Judée enfin, théocratie quasi autonome quoique tributaire financièrement des instances gouvernementales israéliennes, ne cachant pas ses menées messianiques qui préconisent la colonisation à outrance de la Judée et de la Samarie, de même que la judaïsation de l’Etat d’Israël en vue de l’extension de sa théocratie à son territoire et avec elle – du régime d’apartheid qu’il a instauré dans ses dépendances. Le Royaume de Judée est vécu comme une chappe coloniale par l’Autorité palestinienne autonome en son sein. La population arabo-musulmane est quatre à cinq fois plus nombreuse que la population juive dont les colonies s’insinuent de tous côtés dans son territoire, avec des routes parallèles, des services parallèles et une armée considérée comme une force expéditionnaire israélienne qui n’est pas toujours convaincue de sa mission.
Les deux aires politiques – Israël et la Judée – sont enchevêtrées l’une dans l’autre au point que l’on peut décemment poser qu’Israël aussi est en voie d’être « colonisé » par la Judée, sous prétexte de « judaïser » des territoires « perdues » aux Arabes-Bédouins. Ils le seraient par des « noyaux religieux » animés des convictions messionistes de Judée et totalement acquis à sa vision de l’avenir d’Israël comme Etat théocratique régie par la Halakha. La colonisation se produit sur le terrain, dans des villes mixtes judéo-arabes comme Lod, Jaffa, Akko, où l’on plante ses pénates dans les quartiers dont l’on souhaite changer la composition démographique. Les colons ne manquent pas de subsides pour casser les prix des appartements ni ne s’encombrent de complexes pour installer leurs Académies rabbiniques sous des minarets. Ils s’imaginaient que cela se passerait sans problèmes. Or cela a attisé la haine que se vouent depuis toujours Juifs et Arabes. La colonisation judéenne est également symbolique, dirigée vers les Juifs israéliens, leurs cœurs et leurs esprits où l’on souhaite « s’implanter » (un mot de code pour colonisation). Cette implantation s’accomplit par l’investissement des écoles laïques par des enseignants chargés des matières juives, de même que par l’encadrement d’activités périscolaires par des jeunes filles religieuses s’acquittant de leur service civil, et par l’intervention dans ces mêmes établissements d’associations messionistes chargées d’inculquer leur vision du judaïsme. La Judée encourage par ailleurs ses partisans à investir les universités et les autres institutions d’études supérieures, l’armée et les autres organes de sécurité, de même que le parti du Likoud, représentant désormais les Orientaux, infiltré par des messionistes encore plus outranciers que les membres de la formation messioniste (composée du parti national-religieux-sioniste et du parti suprématiste juif). La colonisation d’Israël par la Judée a culminé dans la nomination des dirigeants de cette formation au ministère de la Sécurité nationale, en charge de la police, et au ministère des Finances qui ne cache pas que ses priorités vont à la Judée, géographique et symbolique, au détriment des villes périphériques en Israël. Le ministre des Finances cumule en outre le titre de ministre, au sein du ministère de la Défense, chargé de la Judée, ce qui fait de lui le gouverneur – sinon le roi – du Royaume de Judée.
Ce serait avec cette reconfiguration géopolitique pousser l’analyse à la caricature ; ce serait aussi la pousser au cauchemar auquel se réveillent les secteurs libéraux de la population israélienne soixante ans après le rattachement de la Judée à Israël et sa colonisation rampante par une minorité de forcenés messionistes, insensibles à ce que l’on aurait à dire à Washington, Pékin ou Moscou pour ne point parler du monde musulman. C’est encore la meilleure configuration – en gestation, je le souligne – qui permettrait de mieux cerner les turbulences que connaît la région. S’en tenir à la division classique – Israël, la Bande de Gaza, l’Autorité palestinienne – serait à mon sens totalement dépassé et ne permettrait pas de saisir l’intrication de deux entités juives qui se récusent l’une l’autre et dont le heurt est au cœur de la crise actuelle. Sans cela on ne comprendrait pas l’assaut lancé contre la Haute Cour de Justice, seul rempart institutionnel contre les menées messionistes qui, si elles ne sont pas arrêtées, conduiraient dans un premier temps à une totale colonisation d’Israël par la Judée et dans un deuxième temps à un démantèlement du royaume de Judée des suites de la démoralisation des populations laïques israéliennes qui constituent le vivier des principaux agents de la recherche, de la création, de l’économie et des forces de sécurité. Les risques de voir les jeunes générations, prises en tenaille entre les visées des messionistes et les revendications des intégristes, déserter la contrée se précisent d’année en année.
Cette crise réclame un changement radical de discours. Sur le judaïsme. Sur Israël. Sur leurs places respectives dans l’économie des religions et dans la carte des nations. Sur les relations entre les colons messionistes et les combattants palestiniens qu’on ne pourra plus traiter de « barbares » – parce qu’acculés au terrorisme ils combattent pour leur liberté alors que les colons ne cessent d’améliorer leurs conditions de vie quitte à vilipender de jeunes conscrits et leurs officiers qui assurent leur protection de jour et de nuit. C’est une logique coloniale qui caractérise le Royaume de Judée, une volonté d’expansion coloniale, une ingratitude coloniale, un aveuglement colonial. Toutes les langues de bois n’épargneront pas le démantèlement de ce royaume s’il venait à persister dans sa double colonisation – de la Palestine et d’Israël. Je crains pour ma part que ça ne s’arrête pas là. Le blanchiment d’Israël du soupçon de colonisation, avec son cortège de déplacements et de remplacements de population, réclamait de lui de se retirer des territoires occupés en 1967 pour permettre la création d’un Etat palestinien – qui aurait pris, il est vrai, des décennies pour se stabiliser. Or près de soixante ans plus tard, la colonisation de la Judée vire à l’apartheid qui menace de compromettre les acquis d’Israël. On peut encore se résoudre à un bel Israël dans les frontières vertes, on ne saurait tolérer un royaume de Judée à ses côtés ou, pire, à sa place sans que sa politique de colonisation ne l’engage. La seule légitimité juive d’Israël est de servir de terre d’asile pour les Juifs de Diaspora en cas de persécution. Sinon on n’attend plus grand-chose de lui, ni d’être exemplaire ni d’être juste. Ni qu’il soit une lumière pour les nations ni qu’il soit une nation d’excellence. On ne lui demande que de se montrer soucieux de la liberté politique de ses habitants, de leur protection, de leur égalité et de mettre un terme au régime d’apartheid qui menace de se propager du Royaume de Judée à l’Etat d’Israël.
Je suis, on l’aura deviné, du côté des manifestants. Ce que je ne sais pas encore, c’est en vue quoi je manifeste. C’est dire que la situation est encore plus compliquée que dans ce post…