JOURNAL DE LA PERPLEXITE : LA BOSSE INTERIEURE

25 Apr 2024 JOURNAL DE LA PERPLEXITE : LA BOSSE INTERIEURE
Posted by Author Ami Bouganim

Il n’était pas peu fier de sa bosse, elle n’en était pas moins lourde à porter. Il avait beau prétendre qu’elle était un gisement de génie, il ne réussissait qu’à s’attirer moqueries et railleries. On ne lui concédait que de la graisse et, peut-être, des ressources pour le lucre, lui prêtant plus de vices obscurs et de pouvoirs occultes que de dons intellectuels ou poétiques. Un être sordide, imprévisible et traître, plus malfaisant que bienveillant, roué aux pires manigances. Ses tentatives de plaider l’intelligence de sa bosse tournaient à la mascarade. On n’attendait pas de lui d’impressionner la galerie mais de la distraire.

Pendant des années, il résista, ne désespérant pas d’obtenir, grâce à ses œuvres, une réhabilitation intellectuelle de sa bosse. Il distribuait son bien aux institutions charitables, il militait pour les bonnes causes, il écrivait moult livres. Il était si intimement convaincu que sa bosse était le siège d’une intelligence qui le mettait au-dessus du commun des mortels qu'il ne se résolvait pas à se soumettre à l’opération somme toute bénigne qui l’aurait débarrassé d’elle. En définitive, il céda et se prêta à l’intervention chirurgicale qui introduisit sa bosse à l’intérieur, dans une cavité entre le cœur et l’estomac. Le cœur en pâtit, l’estomac aussi, et la bosse, à l'intérieur, se mit à sécréter de la mauvaise bile.

Désormais, il avait l’air plus châtré que lubrique, plus hargneux que méchant, plus accablé que rusé. Surtout, nul ne comprenait son rôle et sa mission en ce bas monde. Lui-même les comprenait de moins en moins. Il se consolait à l’idée qu’il n’avait pas rencontré créature plus intelligente et n’avait pas énoncé maxime plus intelligente que : « On ne cache pas sa bosse, le bossu, on la roule ! »

Photo : Rodin, Le Penseur