The Euro-Mediterranean Institute for Inter-Civilization Dialog (EMID) proposes to promote cultural and religious dialogue between Mediterranean civilisations ; to establish a network of specialists in inter-Mediterranean dialogue ; to encourage Euro-Mediterranean creativity ; to encourage exchange between Mediterranean societies ; to work to achieve Mediterranean conviviality ; to advise charitable organisations working around the Mediterranean and provide the support necessary to achieve their original projects.
JOURNAL DE LA PERPLEXITE : LE MARCHAND DE L’ESPRIT
C’était un grand parvenu, si riche qu’il célébrait ses anniversaires, ses noces successives, ses divorces répétés dans les meilleurs palaces, avec des invités qu’il acheminait par hélicoptère ou en limousine. Il gagnait tant d’argent, à acheter et à vendre, qu’il s’est mis à investir à tort et à travers. Il avait des châteaux et des crus, des haras et des théâtres, des parts dans des magazines, des chaînes de télévision et des maisons d’édition. Il n’avait plus rien à attendre, ni du côté de la Bourse ni du côté du Monde, ni de ses affaires ni de ses œuvres. Il avait toutes les décorations et ne briguait plus les titres honoris causa qui ne l’impressionnaient pas plus qu’ils n’impressionnaient son entourage. Les collections débordaient de ses musées privés dispersés entre ses nombreuses propriétés. Il ne lui restait plus qu’un marché à investir. Celui de l’esprit. Il s’improvisa intellectuel et publia coup sur coup une dizaine d’ouvrages qui, tous, recueillirent les boniments des critiques qui lorgnaient ses banquets, ses chevaux, ses médias et ses crus. Il se prit également à organiser des colloques qu’il aimait à ouvrir et à conclure. Bientôt il négligea ses galas de charité et se concentra sur ses activités intellectuelles. Il n’avait pas grand-chose à dire, il n’en aimait pas moins pérorer et souvent il accordait le montant de ses parrainages à la longueur des interventions qu’on lui concédait. C’était du temps où l’on croyait ce qui se disait et ce qu’on disait sans succomber au désastreux non-sens des mots.
Notre intellectuel n’en conservait pas moins son visage de marchand, la lippe, les mains, la voix et aucun des nombreux costumes, taillés pourtant sur mesure par les meilleurs couturiers, ne réussissaient à atténuer la dégaine marchande dont il n’arrivait pas à se départir et qui discréditait tout ce qu’il disait. Même quand il lisait les meilleurs textes que ses secrétaires littéraires concoctaient dans les coulisses de sa bibliothèque, il continuait de donner l’impression de vendre et d’acheter. C’était pour être plus élogieux un alchimiste des mots. Il les mêlait selon des recettes qui s’étaient cristallisées dans sa tête et qui ne convainquaient que lui. Il croyait énoncer des vérités, il n’énonçait que des lubies ; il croyait proposer des visions, il ne proposait que des mirages. Il ne soupçonnait pas encore qu’il n’était qu’un charlatan. Sinon il se serait arrêté de déblatérer et d’accroitre le creux écho des mots.
Photo : Adèle Dumoulin