The Euro-Mediterranean Institute for Inter-Civilization Dialog (EMID) proposes to promote cultural and religious dialogue between Mediterranean civilisations ; to establish a network of specialists in inter-Mediterranean dialogue ; to encourage Euro-Mediterranean creativity ; to encourage exchange between Mediterranean societies ; to work to achieve Mediterranean conviviality ; to advise charitable organisations working around the Mediterranean and provide the support necessary to achieve their original projects.
JOURNAL DE LA PERPLEXITE : SOUVENIR DE MOSCOU
C’était avant Poutine. La Russie semblait se remettre d’un long chagrin. Elle retrouvait des couleurs. Le blanc de neige, le vert des dômes, l’or des bulbes, la menace des pavés et... les coloris des femmes. Les cheveux blonds paille, bruns émail, rouge safran. Moscou psalmodiait la poésie architecturale de ses cathédrales, de ses obélisques, de ses statues, de ses bâtiments. Elle semblait caresser une vocation monumentale. Le Pouchkine de Kiprensky, situé dans la galerie Tretiakov, était devenu sa nouvelle icône. Le nez tranché, les yeux sournois, les doigts effilés, nimbé d’une aura éthiopienne. On continue de croire en Pouchkine ; on ne croirait désormais qu’en lui. Le Russe se veut une bête de culture : souvent, il l’est ; souvent, il n’est qu’assommant. Le Moscovite sinon le Russe qui cultiverait comme une domesticité de la culture. Qui a peint qui ; qui a trahi qui ; qui a dénoncé qui ; qui a collaboré avec qui ; qui a couché avec qui. L’Académie russe des beaux-arts serait le moulin impénitent de cette chronique. Les vies emportées de tous ces peintres et écrivains renverraient le visiteur à la petitesse de sa propre vie. J’ai voulu être grand et je suis si petit ; j’ai voulu d’une vie tumultueuse et elle est si anodine. Je ne laisserai pas Poutine gâcher mon intérêt pour la Russie qui assurément serait un pôle de culture sinon de civilisation si elle n’était desservie par d’incurables velléités totalitaires. Poutine entrera, malgré ses crimes, dans l’histoire russe aux côtés de Staline, le malheureux Navalny n’aura qu’un linceul sibérien. Dans « Souvenirs de la maison des morts », Dostoïevski a cette terrible phrase : « L’homme enterré vivant et qui se réveille tout à coup doit frapper désespérément le couvercle de son cercueil. » Sans parler de l’Ukraine qui n’est pas près de s’arracher aux griffes de l’ours russe. C’est cela le retour irrépressible de la gloire nationale, source de grandeurs et de déboires. On le voit en Russie, on le voit en Israël, irrémédiablement proches l’une de l’autre par la culture politique.
Les églises à Moscou sont aussi peinturlurées que l’orthodoxie slave. On ne doit rien laisser de vierge dans l’âme ; on doit tout enduire de foi. C’est peut-être naïf ; ce n’en correspond pas moins à la foi. La Cathédrale Uspensky abrite les tombeaux des Patriarches et des Métropolites sous le règne des tsars. Dans Arkhangelskiy, la cathédrale de l’archange Saint Michel, les tombeaux des tsars, se pressent les uns contre les autres. Le Palais des Armures est une caverne russe où s’entassent pierres précieuses et diamants, trônes et couronnes, carrosses et calèches, selles et armures. Les vêtements de Catherine 1er, d’Elisavéta Petrovna, d’Anna Ioannovna, de Catherine II. La visite du Kremlin tourne au pèlerinage de la vulgate communiste. Le régime s’est écroulé ; il reste ses sanctuaires, ses monuments, ses symboles. La Russie ne rougit pas de son passé, elle en rit et c’est ce qui cultiverait sa résignation. Les victimes du Goulag ne pèsent sur la conscience de personne, pas même sur la conscience historique de la Russie. L’Union soviétique s’est voulue libératrice ; elle s’est révélée écrasante. Un monstre pesant de tout le poids de ses monuments sur l’histoire, de tout le poids de sa terreur sur les peuples. De petites chapelles perpétuent le souvenir des églises rasées par les autorités soviétiques. Sans cesse, la neige contient la nuit en la blanchissant. Dans « Guerre et Paix », Tolstoï met en scène Napoléon surplombant Moscou avant de l’investir : « Chaque cœur russe, en contemplant Moscou, se dit que c’est une mère, tandis que tout étranger, sans même se rendre compte de son rôle maternel, reste frappé de son caractère essentiellement féminin. »