The Euro-Mediterranean Institute for Inter-Civilization Dialog (EMID) proposes to promote cultural and religious dialogue between Mediterranean civilisations ; to establish a network of specialists in inter-Mediterranean dialogue ; to encourage Euro-Mediterranean creativity ; to encourage exchange between Mediterranean societies ; to work to achieve Mediterranean conviviality ; to advise charitable organisations working around the Mediterranean and provide the support necessary to achieve their original projects.
NOTE DE LECTURE : GUSTAVE FLAUBERT, PALESTINE, NOTES DE VOYAGES (1886)


Ce ne sont pas des mémoires, tout au plus des repères et des notes en perspective de la rédaction d’un journal de voyage. Dans cette partie consacrée à la Palestine, il donne l’impression d’être sans cesse en déplacement, ne s’attardant vraiment ni aux paysages ni aux rencontres, étrangement silencieux sur ses sentiments, plus détaché qu’intéressé, s’acquittant de ce périple comme d’une expédition obligatoire dans le cursus romantique d’un homme de lettre. Il ne serait sensible qu’aux allures, des hommes autant que des femmes. C’était du temps où la Palestine couvrait le Liban, la Syrie et la Palestine-Israël de nos jours. Celle-ci se présente comme un terrain vague où les noms arabes recouvrent les vestiges de sites croisés, investis par les cigales, les lézards, les caméléons, les salamandres. Des expressions heureuses, comme « une nuit insectée », annoncent les belles pages qui n’ont pas été écrites. Du 15 novembre 1949 au 17 juillet 1850, Flaubert était en Egypte ; du 29 juillet 1850 au 1er octobre 1850, en Palestine. Puis ce sera la Grèce.
Flaubert se rend à Jérusalem, on ne sait sous quel enchantement ou quel désenchantement. Il n’est visiblement pas disposé à une rencontre avec le sacré : « Nous entrons par la porte de Jaffa et je lâche dessous un pet en franchissant le seuil, très involontairement ; j’ai même au fond été fâché de ce voltairianisme de mon anus. » Ce n’est pas un chantier des religions mais leur charnier : « Là pourrissent silencieusement les vieilles religions. » Son insensibilité au Saint-Sépulcre l’accable : « Il est de fait qu’un chien aurait été plus ému que moi. A qui la faute, Dieu de miséricorde ? à eux ? à vous ? ou à moi ? A eux, je crois, à moi ensuite, à vous surtout. Mais comme tout cela est faux ! comme ils mentent ! comme c’est badigeonné, plaqué, verni, fait pour l’exploitation, la propagande et l’achalandage ! » C’est empoussiéré, empuanti, délabré : « Ruines partout, ça respire le sépulcre et la désolation. La malédiction de Dieu semble planer sur la ville, ville sainte de trois religions et qui crève d’ennui, de marasme et d’abandon. »
A Bethléhem, sur le site de la Nativité, il rechignerait à se concéder une émotion mystique : « Je suis resté là, j’avais du mal à m’en arracher, c’est beau, c’est vrai, ça chante une joie mystique. » Il se laisse aller, par ci par là, à des évocations, ainsi dans les Vasques de Salomon partiellement remplies d’eau : « On pense aux filles d’Israël descendant là pour puiser de l’eau dans de grandes urnes. » Il reconnaît que sa déception n’est pas tant des lieux que de ses sentiments, il reste insensible au manège du sacré. Sinon c’est un pays de Bédouins, d’oliviers et de dromadaires : « Le bleu du ciel cru passait entre leurs jambes raides aux mouvements lents. »
Damas est déjà plus animée et coloriée : « Hommes généralement petits à cheveux et à yeux noirs, à peau blanche. Quel succès à Paris auraient des drôles semblables ! Si j’étais femme, je ferais à Damas un voyage d’agrément ! » Il trouve de bonnes manières à ses gens, plutôt tolérants et accueillants. Il constate comme une évolution des mœurs : « Mahomet tombe donc lui aussi et sans avoir eu son Voltaire. Le grand Voltaire c’est le temps, useur général de toutes choses. » Les plus fanatiques sont encore les Lazaristes qui accusent les juifs de l’assassinat du père Thomas : « On l’a d’après son récit, après l’avoir égorgé, décapité, et sa tête a été broyé dans un pilon. » Au cimetière chrétien, il délie son lyrisme macabre au spectacle des caveaux ouverts : « Nous avons vu dedans plusieurs débris humains pêle-mêle […], puis, au fond, une sorte de momie desséchée, raidie sous des lambeaux de linceul. Cà et là quelques têtes sans corps, quelques thorax sans têtes, et, au milieu, jaune, blond doré, serpentant dans la poussière grise, une longue chevelure de femme. » Il ne nous épargne pas le spectacle effarant des lépreux à la sortie de Damas, se soutenant les uns les autres, sans personne pour les secourir : « Ce qu’il doit y avoir de pis pour eux, c’est de se voir. »
Seul un monstre littéraire pouvait écrire une phrase comme celle-ci : « Les pierres de Baalbeck ont l’air de penser profondément. »